Insoumission. Journal 2016

créée le lundi 16 mai 2016, 17 h 47
modifiée le vendredi 20 mai 2016, 11 h 25
Plieux, dimanche 15 mai 2016, Pentecôte, minuit & demi.
L’affaire Black M ne s’éteint pas. Le maire de Verdun a retiré le projet de “concert”, mais force voix se font entendre, non seulement à gauche, mais à droite, pour déplorer cette décision, et parfois même pour inciter à revenir sur elle. Mme Audrey Azoulay, le ministre de la Culture, fortement soupçonnée, à tort ou à raison, d’être à l’origine de l’idée du spectacle, semble déplorer la reculade du maire et se lamente que « Des voix déchaînées [aient] obtenu l’annulation d’un concert au nom d’un ordre moral nauséabond et décomplexé ».

Que le ministre de la culture appelle concert une soirée de Black M et consorts passe encore, puisqu’il y a vingt ans qu’il en va de la sorte — mais l’on pourrait très bien considérer, au contraire, que c’est là le nœud du problème. Le plus extraordinaire est tout de même qu’elle nomme ordre moral, avec toutes les connotations péjoratives de cette expression dans son milieu idéologique, le refus de voir se produire à Verdun, en commémoration de l’effroyable tuerie, un “artiste” fortement soupçonné d’antisémitisme et largement convaincu de la haine la plus violente et même assassine à l’égard des homosexuels. Sur le premier point il a des défenseurs, qui allèguent que cette réputation lui vient du titre d’une seule chanson, dont il n’est pas l’auteur et où figure le mot youpin : c’est peut-être peu, mais ce n’est tout de même pas rien, car on chante difficilement une chanson où dès le titre il est question de youpins sans y mettre quelque sentiment personnel. Quant aux homosexuels le sympathique Black M incite en musique à les jeter en morceaux « sur le périphérique », sans oublier de les châtrer d’abord.

N’importe, pour Mme le ministre de la Culture, qu’on veuille empêcher pareil délicat poète d’exercer son art en guise de commémoration de centaines de milliers de morts, et en hommage au long martyre subi héroïquement par tant d’autres, il ne peut s’agir que d’ordre moral nauséabond. On est là à l’aboutissement, dans la plus parfaite déchéance morale, justement, de ce qui fut l’antiracisme et qui est devenu le remplacisme. Le remplacisme remplace en lui-même jusqu’à l’antiracisme dont il est issu, et s’accommode à merveille de tous les racismes, antisémite, homophobe, gérontophobe n’en parlons même pas, pourvu qu’à ses yeux l’essentiel soit sauf, c’est-à-dire que se poursuive le Grand Remplacement, et que les péchés véniels incriminés aient pour auteurs des remplaçants, c’est-à-dire des innocents de nature. Parmi les remplacistes même les juifs sont décidés à passer l’éponge sur l’antisémitisme dès lors qu’il est le fait d’Africano-musulmans, c’est-à-dire ne constitue rien d’autre qu’un trait folklorique, inévitable et pittoresque.

Avec cette affaire admirable on voit la spirale du sens achever un tour complet sur elle-même : ce sont les antiracistes patentés, devenus remplacistes, qui réclament à cors et à cris le droit de chanter à Verdun, pour le centenaire de la bataille, d’un raciste non moins patenté, au seul motif qu’il est noir, et qu’il s’agit de rendre hommage aux tirailleurs sénégalais ­— un dessein dont nul ne conteste la légitimité. D’ailleurs personne n’a protesté, à ma connaissance (sinon pour son choix de version musicale), lorsque Jessye Norman a été choisie pour chanter La Marseillaise lors du bicentenaire de la Révolution.

Mais Black M n’est pas Jessye Norman. C’est bien là que l’affaire devient tout à fait passionnante. Il y a un quart de siècle encore, juste avant que le mot musique ne change de sens, personne n’aurait eu l’idée de commémorer un événement tragique et grandiose autrement qu’avec de la musique classique, ancienne ou contemporaine. Aujourd’hui encore, le Requiem de Mozart ou quelque musique liturgique juive seraient seuls jugés dignes de s’approcher d’Auschwitz, si encore le silence, le seul silence, n’était pas estimé préférable. Mais pour Verdun Black M paraît tout indiqué, au moins au maire de Verdun, à Mme le ministre de la Culture, à Jack Lang et même à Benoist Apparu, du parti “Les Républicains” (je ne m’y ferai jamais). C’est que le Grand Remplacement et le Petit, celui qui remplace les peuples européens par tous les autres peuples de la terre et celui qui remplace la culture par la sous-culture, avancent la main dans la main, et peut-être même ne font qu’un.

Jérôme Vallet citait tout à l’heure un texte de Gramsci, extrait d’une lettre à sa belle-sœur, en 1928 :

« Si danger il y a, il est plutôt dans la musique et la danse importées en Europe par les nègres. Cette musique a vraiment conquis toute une frange de la population européenne cultivée, elle a même créé un véritable fanatisme. Comment s’imaginer que la répétition continuelle des gestes physiques que les nègres font en dansant autour de leurs fétiches, ou qu’avoir toujours à l’oreille le rythme syncopé des jazz-bands, reste sans conséquences idéologiques ?

« a) Il s’agit d’un phénomène énormément diffus, qui touche des millions et des millions de personnes, spécialement les jeunes ;

« b) il s’agit d’impressions très énergiques et violentes, qui laissent donc des traces profondes et durables ;

« c) il s’agit de phénomènes musicaux, donc de manifestations qui s’expriment dans le langage le plus universel qui existe aujourd’hui, dans un langage qui communique plus rapidement que n’importe quel autre les images et impressions d’une civilisation non seulement étrangère à la nôtre, mais (…) primitive et élémentaire, donc facilement assimilable et généralisable par la musique et par la danse à tout le monde psychique. » 

Sur la “musique nègre”, il est plus prudent de citer Gramsci qu’Henry de Lesquen. Néanmoins le penseur italien, idole de mai 68, est en train de devenir celle des droites nationales, et pas seulement pour ses vues sur ce sujet-là. Je crois pour ma part que les musiques africaines, et plus spécialement afro-américaines, voire américano-africaines, sont le lieu tellurique où se rencontrent les deux remplacements, le grand et le petit. Il n’y a plus guère de musique populaire ou de pop music qu’américano-africaine, et la pop music est l’univers sonore et mental “naturel” de la petite bourgeoisie triomphante : sous-culture et africanisation font le même bruit — ce qui permet de vérifier le degré d’avancement du remplacement global, et l’efficacité du remplacisme dans ses œuvres.

Cela dit je ne ferai pas, évidemment, à la musique nègre, pour laquelle je n’ai pas de goût particulier mais qui fait l’objet de ma part d’un certain respect, surtout dans sa dimension authentiquement et profondément africaine, l’insulte de la réduire au malheureux Black M.    

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