Morcat. Journal 2014

créée le lundi 17 mars 2014, 16 h 05
modifiée le lundi 17 mars 2014, 16 h 41
Dimanche 16 mars 2014, minuit et demi.
Canal Plus a diffusé aujourd’hui, à midi, dans l’émission intitulée “Le Supplément”, le reportage auquel étaient destinés les enregistrements réalisés ici mardi dernier, et un peu dimanche dernier à Paris, et encore lors de mon procès le 21 février — cela du moins pour ce qui est des enregistrements “officiels”, visibles, connus de moi : car un autre avait été effectué en caméra et à micro cachés le samedi 8 mars à Colmar, lors de ma “conférence” à l’hôtel Bristol.

Dans l’ensemble, c’était moins désagréable à regarder que je n’avais imaginé que ce pouvait l’être. M’était même reconnu le statut de bon, voire de grand, écrivain, au moins à titre rétrospectif : « La critique des années 70 le considérait comme l’écrivain le plus prometteur et le plus doué de sa génération » — première nouvelle pour moi, mais enfin c’est plus agréable à entendre que les gracieusetés qui sont mon lot ordinaire dans ce domaine. Bien entendu il ne s’agissait que de faire ressortir par contraste mes effroyables dévoiements depuis lors, qui ont fait de moi, ainsi que le disait la présentatrice avec la calme assurance de la bêtise bien assise et de l’inculture bien payée, et comme une chose allant de soi, connue et reconnue de tous et qui ne saurait être contestée, “l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus”, voire “l’idéologue”, ou “le penseur de l’extrême droite”. Du moins l’image, ai-je trouvé, n’était-elle pas trop désagréable, pour une fois. On voyait beaucoup Plieux, « village où il a élaboré sa théorie du “Grand Remplacement” », ce qui, maintenant que j’y pense, pourrait nuire assez gravement à ma popularité sur les lieux, mais bon…

Je suis tellement habitué aux pièges, perfidies, bassesses et coups tordus des médias que cette fois, par comparaison, je pourrais presque penser que j’ai été traité avec loyauté et même, par endroits, une certaine bienveillance qui ne saurait s’avouer — cela, bien sûr, à l’exception près de ce qui se rattache à l’épisode colmarien.

Il faut évidemment s’accommoder d’emblée d’un reportage sur un écrivain que le reporter n’a pas lu, ou pour ainsi dire pas lu, ni même envisagé de lire, encore moins de lire sérieusement — la littérature, à Canal Plus canal politique, on sent tout de suite que ce n’est pas leur culture ; et d’ailleurs ils ne prétendent pas que ce le soit. Ainsi qu’il en allait à l’automne dernier avec M. Mahrane, du Point, l’écrivain en question (mais après tout il l’a bien cherché...) n’est donc envisagé que par ouï-dire, et par ouï-dire de ouï-dire, exclusivement comme figure politique : ce qui, évidemment, dans mon cas, constitue un angle d’approche dont la pertinence est à peu près de ½ pour cent (l’avocat du Mrap, à la XVIIe Chambre, avait l’air de trouver nettement abusif, lui aussi, que je prétendisse ou suggérasse qu’on me lût — et puis quoi encore ?). En l’occurrence la grande idée du journaliste, et peut-être de sa rédaction (si tant est que sa rédaction se soit jamais intéressée à moi, ce qui est douteux…), c’est qu’en public et aux médias, par prudence et dissimulation, je ne dis pas vraiment ce que je pense — idée totalement fausse, bien entendu, et qui ne serait jamais venue à un de mes lecteurs, prudence et dissimulation ne constituant pas exactement les traits fondamentaux de mon caractère. Or le fond de ce que je pense, toujours d’après Canal Plus m’expliquant doctement à son public, c’est la haine de l’islam et la peur des musulmans. Et pourtant je n’en parle jamais. Mais ne vous inquiétez pas, chers téléspectateurs : on va vous m’l’en faire parler…

Déjà le principe de la caméra cachée, tel qu’il m’est appliqué à Colmar, n’est pas très élégant, globalement : mais nous y sommes tellement habitués qu’il ne nous étonne plus qu’à peine, même quand nous en sommes la victime ; et puis, s’agissant de l’“extrême droite”, donc de la bête immonde, il est convenu depuis longtemps que tous les coups, même les plus bas, sont permis, serait-ce seulement selon la jurisprudence Lanzmann, dans Shoah (et aux yeux de Canal Plus il n’y a sans doute pas une énorme distance entre un ancien gardien de camp de concentration, ou théoricien de la solution finale, et moi — en des versions plus ou moins policées c’est toujours l’extrême droite, le ventre fécond, les heures les plus sombres).

Mais à propos de Colmar il ne s’agissait plus seulement de caméra cachée. Elle avait nécessairement un porteur, en effet, cette caméra cachée. Et ce porteur on ne l’avait pas envoyé à grands frais à l’autre bout de la France pour qu’il en rapporte des images et l’enregistrement d’une petite conférence bien tranquille où rien de particulièrement scandaleux n’avait été dit. Il ne pouvait pas avoir fait le voyage pour rien, ce garçon. Si l’inadmissible, qui seul est intéressant, ne survient pas, il faut donc que l’envoyé secret, coûte que coûte, le provoque. Or l’inadmissible, pour les gens de Canal Plus, c’est la mise en cause de l’islam, dont il est convenu que c’est mon obsession secrète. Le Grand Remplacement, au fond, c’est vague, ça ne leur dit rien. Et puis, malgré tout, même si ce n’est pas bien joli, comme concept, ce n’est pas du racisme, puisque ça ne désigne aucune race ou communauté particulière. Bref, ça n’a aucun intérêt médiatique. Tandis que l’islamophobie… Ce qu’il nous faut c’est du bon racisme bien net, de la phobie, de la peur de l’autre (excellent, la peur de l’autre…), de l’appel à la haine. Il faut donc à tout prix pousser ce type à dire ce qu’il pense vraiment, c’est-à-dire ce que nous pensons qu’il pense vraiment, ce que nous avons décidé qu’il pensait vraiment.

Manque de chance, à Colmar ni ailleurs, pas un mot sur l’islam. Le porteur de caméra cachée va donc, tout à fait in fine, puisqu’il n’a pas eu ce qu’il était venu chercher, le provoquer, le faire advenir, s’efforcer de constituer lui-même le scandale sans lequel il n’y a pas de bonne émission possible, et pas lieu de faire d’émission, même. On est là dans la logique de ces policiers américains qui fournissent à de potentiels terroristes tout le matériel nécessaire pour mettre sur pied un attentat ; ou bien de ces autres représentants de la loi et de l’ordre qui, comme celui dont fut victime dans une pissotière le pauvre George Michael, font des avances sexuelles à ceux qu’ils arrêteront s’ils y répondent.

« Vous parlez toujours de Grand Remplacement », demande donc, à Colmar, alors que les échanges vont se clore, le jeune homme du dernier rang, qui est en fait, mais bien entendu je ne le sais pas, l’envoyé secret de Canal Plus et le porteur de la caméra et du micro cachés : « mais est-ce que vous ne pensez pas que ceux qui vont nous remplacer ce sont tout de même les musulmans ? »

À quoi je réponds, évidemment, ce que je réponds toujours, que moi, ce qui me désole, c’est que la culture et la civilisation françaises, qui comptent parmi les plus précieuses que la terre ait portées, soient remplacées, sur le territoire qui fut celui de leur éclat, et peu m’importe par qui : il s’agirait des animistes, des shintoïstes ou des bouddhistes, ça ne me désolerait pas moins ; mais enfin je veux bien convenir qu’en l’occurrence, oui, il s’agit principalement, mais pas exclusivement, notez bien, des musulmans, de l’islam, de la civilisation arabo-musulmane ; qui certes a été une grande civilisation mais dont je ne souhaite pas qu’en France elle se substitue à la nôtre. Et comme le jeune homme qui pose la question a l’air d’être vraiment obsédé par l’islam et de lui en vouloir tout particulièrement, je vais jusqu’à ajouter, pour ne pas trop le décevoir (j’essaie toujours, sauf cas extrême, de trouver un accord minimal avec mes interlocuteurs), que sans doute nous n’avons pas de chance, que nous ne sommes pas très bien tombés, et que, remplacement pour remplacement, les bouddhistes, mettons, auraient peut-être été un peu plus doux, moins difficiles à vivre. Bien entendu c’est tout ce qui est gardé de mon intervention — ouf, c’est dans la boîte, j’ai dit que nous n’avions pas de chance d’être tombés sur l’islam, que d’autres remplaçants auraient peut-être été moins désagréables, ou plus commodes : voilà qui devra faire l’affaire pour la confection de mon image de farouche islamophobe.

Le plaisant, si l’on peut dire, est que, pour plus de sécurité, la même question exactement m’a été posée ici même, à Plieux, par Julien Beau ou l’un de ses acolytes, la semaine dernière ; et que j’ai donné exactement la même réponse : à savoir que ce que je refusais c’était le Grand Remplacement, peu m’importait qu’il ait lieu au bénéfice de tels ou tels ; mais oui, en l’occurrence, c’est principalement au bénéfice de l’islam et des musulmans qu’il a lieu ; ce serait au bénéfice des shamanistes je n’en serais pas moins désolé, etc. Mais ce que je disais très ouvertement là, conscient d’être enregistré et filmé, n’avait pas le poids et le prix, aux yeux de Canal Plus, d’un enregistrement secret et d’un tournage en caméra cachée, dont il suffirait d’isoler deux phrases pour prouver ma secrète obsession, à laquelle je ne donne libre cours, bien sûr, qu’en des cercles lucifuges de co-obsédés et de complices.

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