NON. Journal 2013

créée le vendredi 15 novembre 2013, 17 h 03Jeudi 14 novembre 2013, une heure moins vingt du matin. Je ne suis pas sûr que l’imperméable acheté en 1932 par Jean Puyaubert pour son ami Henri Panisse, et qu’il m’a offert vers 1985, tienne tout à fait cent ans. Il commence à donner des signes de fatigue. Mais comme je ne le porte guère que dans le bois de la Garrière, ça n’a pas grande importance, et il m’est encore très utile.

*

Était diffusé ce soir, au journal télévisé de France 2, un reportage sur une adolescente qui s’est suicidée, il y a quelques mois, parce qu’elle était en butte à du harcèlement, au collège — on parlait jadis de persécution. On voyait sa photographie : c’était une jolie jeune fille de treize ou quatorze ans ne présentant aucun trait, à première vue, qui dût la désigner au mépris ou à l’animosité de ses condisciples, bien au contraire. On entendait beaucoup sa mère, surtout : bourgeoise assez élégante et relativement fortunée, semble-t-il, interrogée chez elle devant une grande toile abstraite. Cette dame mettait gravement en cause un nombre déterminé de camarades de sa fille, dont elle connaissait les prénoms grâce au journal intime de la jeune morte et à certains papiers qu’elle avait laissés. Bien entendu ces prénoms ne nous étaient pas communiqués. Aucune information n’était donnée qui eût permis de se faire une idée un peu précise de ce qui s’était passé. Une adolescente s’était suicidée à cause du harcèlement dont elle faisait l’objet au collège de la part de ses camarades : voilà, on n’en saurait pas davantage. Allez jouer avec cette poussière. Et pourtant le reportage durait bien quatre ou cinq minutes. Mais non : absolument rien qui permette de lui donner un sens. En l’état, il n’avait aucune signification. C’était un travail inexistant, ni fait ni à faire.

Or on voit de plus en plus de reportages de ce type. Le climat idéologique est tellement contraignant, la chape de silence est si lourde, que rien de ce qui permettrait d’expliquer tel ou tel événement n’est indiqué.

On peut évidemment se demander, dans ces conditions, pourquoi les journalistes entreprennent de montrer pareilles séquences tronquées de toute part. Est-ce pour aller jusqu’au bout de ce qu’ils croient pouvoir dire, et dans l’espoir que le public fera tout seul l’autre moitié du chemin de l’intelligibilité ? Ou bien sont-ils forcés par la pression des faits d’admettre que quelque chose arrive mais absolument déterminés, de par leur formation dans les usines et ateliers de l’hébétude, à ne pas dire quoi ?

Persécutions racistes envers une jeune fille blanche ? Voilà exactement ce qui ne pourrait certes pas être mentionné, en effet, si c’était le cas. Cependant m’est venue à l’esprit une autre hypothèse, non moins troublante : persécutions de nature socio-culturelle contre une jeune bourgeoise dont les parents auraient commis l’erreur de bien l’élever, en lui apprenant un français à peu près correct et en la familiarisant avec l’art, avec la culture ? Les camarades de la jeune fille auraient persécuté sa bonne éducation, pour eux intolérable ? D’après le peu d’éléments dont je dispose, ce me semble l’hypothèse la plus vraisemblable. C’est celle qui vient immédiatement à l’esprit au vu des images — illustration extrême de ma vieille formule selon laquelle élever un enfant, aujourd’hui, c’est l’inadapter (le promettre à la solitude et aux persécutions). Mais bien entendu les journalistes n’ont pas jugé licite de s’aventurer dans cette voie, ni d’ailleurs dans aucune autre. Le journal télévisé de France 2, c’est comme un quotidien dont tout le texte aurait été caviardé — Le Canard enchaîné en 1917…

voir l’entrée du jeudi 14 novembre 2013 dans Le Jour ni l’Heure

Journal Vaisseaux brûlés Livres en ligne Le Jour ni l’Heure Plickr Librairie Galerie Vie & œuvre Index Liens Courrier
accueil général du site
Ce bouton permet de se déplacer rapidement dans le site de Renaud Camus.

masquer les messages d’aide
Ces boutons fléchés permettent de consulter les différentes entrées du journal de Renaud Camus.

Les autres boutons vous proposent diverses options. Survolez-les avec la souris pour en savoir plus.

masquer les messages d’aide