Corbeaux. Journal 2000

sans dateMardi 13 juin 2000, dix heures du matin. Je suis indigné que Jacques Chirac se rende à l’enterrement de Hafez Al-Assad, un des pires tyrans du XXe siècle. C’était bien la peine de faire toutes ces histoires pour Pinochet ! Ou bien les dictateurs tortionnaires ne sont-ils un objet de scandale que dans les pays occidentaux de civilisation plus ou moins démocratique et chrétienne, tandis que dans les pays arabes ils vont de soi, et nul ne trouve rien à redire à leur joug ?

Elle est belle, la fameuse “politique arabe de la France” ! S’il devait y avoir une véritable “politique arabe de la France”, et digne de ce nom, ce serait par l’alliance avec les peuples contre leurs tyrans. La France aurait bel et bien un rôle à jouer — un rôle évident soutenu par un massage clair : celui de la liberté. Au lieu qu’il n’est pas un Hassan II, un Ben Ali ou un Assad, le pire de tous, qui n’ait pu se targuer de nos complaisances.

Ils ne songent pas à s’en targuer, d’ailleurs : elles sont de si peu de prix qu’elles sont aussi méprisées que nous.

L’hommage posthume à Assad est d’autant plus scandaleux qu’il est le fossoyeur du Liban, un pays qui a cru longtemps avoir en nous son meilleur protecteur.

   

Quatre heures et demie. Crise dans la crise : coup de téléphone de Fayard ce matin. On a de nouveau soumis La Campagne de France à l’avocat de la maison, Me Henri Leclerc. Avant cela nous nous étions pliés à toutes ses exigences, c’est-à-dire qu’on avait enlevé du livre près d’une dizaine de pages. Ma seule condition depuis le début, et Claude Durand y avait souscrit, c’est que les passages retirés soient figurés par des blancs, de la même taille qu’eux exactement. Or Me Leclerc exige maintenant que les blancs eux-mêmes soient retirés. Ils lui paraissent une provocation, et d’abord une provocation à l’action juridique des associations anti-racistes (dont celle qu’il préside, peut-être). Selon lui ces blancs seraient un encouragement donné au lecteur à reconstituer les passages manquants. Ils témoigneraient que je n’ai aucun regret, etc.

En somme on est exactement dans la situation qu’avait évoquée Claude Durand sur le mode plaisant, dans son article à Libération. Il disait que les signataires de la “Déclaration des hôtes”, qui ne voulaient pas d’une republication du livre même en sa version expurgée, inventaient une forme de censure que les pires censeurs du XIXe et du XXe siècle n’avaient pas imaginée dans leurs rêves les plus fous, la censure des blancs...

Claude Durand croyait alors plaisanter, mais on en est exactement là. Et , cette fois, c’est trop loin pour moi. Je crois avoir fait jusqu’à présent beaucoup de concessions, mais à celle-là je me refuse. Être censuré, passe encore, bien que ce ne soit pas agréable. Mais céder aux exigences des censeurs qui voudraient que leur censure ne se voie pas — il faudrait même écrire des textes de liaison ! —, ça il n’en est pas question.

Après ce premier et ferme refus m’est venue une idée, qui représenterait le point extrême jusque auquel je pourrais aller — et qui d’ailleurs ne me déplairait pas absolument, tant elle est accordée à mes vieilles obsessions (conceptuellement impeccable, dit Flatters) : je laisserais Fayard faire ce qu’il veut, ou plutôt ce qu’exige Me Leclerc ; mais je retirerais la note que j’ai écrite pour la nouvelle édition, et surtout je demanderais que le livre paraisse sans mon nom ; s’il arrivait que le livre rapporte quelque argent en plus de celui que j’ai déjà touché, je renoncerais à ces sommes-là et les ferais verser soit à une association pour la mémoire juive, soit à une association de lutte contre la censure et pour la liberté d’expression.

Plus tard dans la matinée, nouveau coup de téléphone de Fayard — cette fois-ci Claude Durand lui-même. Il prend acte de mon refus, et se montre beaucoup moins résolu à supprimer les blancs qu’on ne me l’avait annoncé plus tôt. Il va reparler à Me Leclerc. Me Leclerc lui a dit que de conserver les blancs inciteraient les associations à nous attaquer (raisonnement qui me semble incompréhensible). Cependant elles ne pourraient nous attaquer que sur le texte antérieur. Et il semblerait que le texte antérieur ne soit attaquable que dans les trois mois de sa publication. Il est paru le 29 mars. Il suffirait donc de remettre la nouvelle édition au 29 juin — je n’y vois aucun inconvénient.

*

Crise dans la crise dans la crise : j’ai dû aller à Fleurance, à la banque, et j’en ai profité pour acheter à la maison de la presse le numéro de cette semaine de Marianne, où Claude Durand m’avait signalé ce matin un article qu’il trouvait intéressant, et relativement modéré, de Dominique Jamet. Il avait omis de me préciser, toutefois, que cet article était intitulé Renaud Camus, l’homme qui n’aimait pas les juifs.

Cette fois la coupe est pleine. Et je défie quiconque de trouver dans mes livres quoi que ce soit qui implique que je “n’aime pas les juifs”. Il me semble qu’il serait indispensable de porter plainte. Ce Me Pierrat que j’ai vu il y a trois semaines est trop réservé à l’égard de mes positions et de moi pour constituer un défenseur bien engageant. Un autre avocat parisien m’a écrit pour m’apporter son soutien, à titre personnel. Je l’ai appelé ce matin, mais je n’ai pu lui parler. Et il ne m’a pas rappelé.

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