Corbeaux. Journal 2000

sans dateLundi 8 mai 2000, huit heures du matin. Excellente journée hier. Elle avait commencé sur un long téléphonage de Sophie Barrouyer, l’une des plus actives de mes championnes autour de Jean-Paul. Elle m’apprenait qu’avait été publiée dans Le Monde, samedi, une lettre de lecteur en ma faveur, ou plus exactement de lectrice. Il s’agit de Mme Alma-Coulaudon, la fille d’Aimé Coulaudon, jadis député de Clermont et président des Amis du Vieux Clermont, dans mon enfance. C’est à cette dame que je dois d’avoir reçu en 1998 le prix Aimé-Coulaudon, à l’hôtel de ville de Clermont. Et à présent elle écrit au Monde, donc, pour expliquer que jamais elle n’aurait associé la mémoire de son père, député socialiste et grande figure de la Résistance en Auvergne, à un écrivain dont elle eut pu imaginer un seul instant qu’il fût suspect d’antisémitisme. Elle estime que toute mon œuvre, Campagne de France y compris, dément cette allégation.

Sophie Barrouyer pense que les lettres en défense vont commencer d’être publiées dans Le Monde. Il y a en général un délai d’une dizaine de jours entre l’envoi et la publication, d’après elle, et c’est ainsi que s’explique qu’il n’en soit paru aucune jusqu’à présent, celle de Mme Coulaudon étant la première. Le mari de Sophie, Frédéric, a lui-même envoyé, comme Jean-Paul, une réponse à Bertrand Poirot-Delpech, dont le texte Zakkor, paru la semaine dernière, est celui qui indigne le plus fort mes partisans : on croit comprendre à le lire, en effet, que j’aurais écrit qu’il y a « trop de juifs », expression qui est entre guillemets comme s’il s’agissait d’une citation, alors qu’elle ne se trouve nulle part, bien entendu, dans La Campagne de France.

D’autre part Sophie doit déjeuner ces jours-ci avec Élisabeth Roudinesco, dont le rôle dans toute cette affaire apparaît chaque jour plus important. Roudinesco, qui jadis me voulait du bien, est aujourd’hui la compagne d’Olivier Bétourné, lequel a imposé chez Fayard le retrait de La Campagne de France, contre la volonté de Claude Durand. Roudinesco, m’explique Sophie, est absolument persuadée de mon antisémitisme. Seulement elle reconnaît n’avoir rien lu de moi, sauf Roman Roi, dont elle faisait grand cas aux temps lointains où j’étais très en cour auprès d’elle. C’était l’époque où elle m’offrait de somptueux ouvrages publiés par son père, le docteur Roudinesco, fameux bibliophile.

À propos de mon antisémitisme supposé, Sophie plaide l’opinion exactement contraire à celle de la psychanalyste, et l’adjure de lire au moins tel ou tel de mes livres, qui devrait la faire changer de sentiment. Mais rien à faire, on a son siège fait. Et à bout d’arguments on s’écrie :

« Même si Renaud Camus n’est pas expressément antisémite, inconsciemment il l’est ! »

Et de citer comme preuves mes assurances du contraire, rangées bien entendu, ainsi qu’il courant de le faire, dans la rubrique des dénégations.

Le concept m’a toujours choqué en psychanalyse, déjà. Mais dans l’échange d’idées, surtout d’idées aussi dangereuses, il est d’un usage scandaleux. Si vous dites que vous êtes antisémite, vous l’êtes. Si vous dites que vous ne l’êtes pas, vous l’êtes aussi. Le seul moyen de parler correctement des juifs, c’est de ne pas en parler du tout, de ne jamais les nommer, de n’exercer à leur égard aucun esprit critique, surtout. Et tant pis si d’autre part vous essayez d’exercer votre esprit critique à l’égard de tout et de tout le monde, à commencer par vous-même, et de nommer tout ce qui peut l’être. Eux ne sont pas nommables, on en revient toujours là — pas plus nommables que Dieu, dans l’Ancien Testament.

Élisabeth Roudinesco cite l’exemple de Jung, qui toute sa vie a été persuadé qu’il n’était pas antisémite, alors que tout prouve, selon elle, qu’il l’était.

Une autre lettre au Monde est celle du gendarme Éliézer, que j’ai trouvée dans mon “courriel” avant de quitter New York, et que voici :

« Monsieur, je suis scandalisé par la polémique qui est menée actuellement à l’encontre de l’écrivain Renaud Camus.

« Je ne suis qu’un simple citoyen français habitant la campagne Jurassienne. Je n’ai pas de parti pris dans cette "polémique" et je m’attache au mieux à décrire un sentiment objectif dans cette affaire. J’ai personnellement lu La Campagne de France, j’ai lu de nombreux ouvrages de l’auteur et le moins que l’on puise dire, penser, et en conclure : c’est que Renaud Camus est tout sauf cette montagne de calomnies que certains lui prête comme M. Bernard Comment.

« Après son article publié dans Le Monde le 27/4, on ne peut qu’être scandalisé et ressentir de la haine à l’égard de M. Comment lorsque celui-ci accuse CAMUS "d’esprit pétainiste..." ! Comment peut il parler ainsi d’un auteur dont manifestement il ne connait rien de ses œuvres ?

« Scandalisé aussi du peu d’objectivité que manifeste Patrick Kechichian en conclusion de son article dans Le Monde du 04/05 !

« Nous avons, modestes lecteurs dont je fais parti, le sentiment d’assister à un faux débat. N’a t-on pas ou plus le droit, en France, de prononcer ou d’écrire "un mot" ; ce mot objet de la polémique actuelle, sous peine d’être condamné au linchage en place public. Chacun connaît les malheurs qu’a traversé le peuple Juif et le grand respect que nous accordons à ce peuple. Néanmoins, pourquoi n’a t-on pas le droit de formuler une idée, une critique ou autre aussi modeste soit elle sans être immédiatement traité de tous les noms ?.. Je veux dire par là, qu’il n’y a rien à mon sens dans les propos de Renaud Camus de racisme ou d’antisémitisme.

« Mon sentiment ne peut qu’être partagé par tous lorsque l’on se donne la peine de lire DANS LEUR TOTALITE les chapitres qui l’accuse.

« Après tout cela, j’ai été heureux de lire cet article de Nicholas FOX WEBER publié dans Le Monde le 04/05 et qui remet enfin les pendules à l’heure sur une réalité que la grande majorité connait déjà et dont M. Bernard COMMENT, entre autres, ferait bien de s’inspirer !

« Le Monde a contribué à mettre de l’huile sur une étincelle qui n’avait pas lieu d’être et qui s’est transformée en un véritable brasier. Il appartient donc au Monde de contribuer à éteindre ce feu en replaçant chaque chose DANS SON JUSTE CONTEXTE sous peine de perdre sa crédibilité et ses lecteurs !

« Renaud CAMUS est un écrivain de génie, sans nul doute l’un des meilleurs écrivains français actuel. Toutes ses qualités et capacités culturelles, historiques et j’en passe et des plus belles ne sont plus à prouver. C’est un hommage à son Oeuvre Globale qu’il mérite et non pas d’être traîné dans la boue par une poignée d’incongrus.

« Un modeste lecteur : ...................................... »

La lettre est signée.

Je ne suis pas sûr que ma cause gagnerait beaucoup à sa publication, mais c’est peut-être la plus touchante, et certainement la plus drôle, de toutes celles qui ont été envoyées. Le coup de la “poignée d’incongrus” m’a plongé dans un long fou rire solitaire.

Téléphonage aussi de Philippe Martel, qui m’a trouvé ici Dieu sait comme, alors qu’il est toujours à Monaco. Lui propose de rallier en ma faveur Jean-Jacques Aillagon, le président du Centre Pompidou, avec lequel il est étroitement lié. D’autre part il doit recevoir à Monaco, bientôt, Thierry Ardisson, et il veut mon accord pour demander à Ardisson de me recevoir dans l’une de ses émissions. Je crois d’abord qu’il s’agit de celle que Pierre et moi regardons assez souvent le samedi soir sur Antenne 2, et je suis très réticent, car je me vois mal faire face aux questions, interpellations et fines plaisanteries des Bigard et autres amuseurs professionnels qui sont les invités les plus habituels de cette émission. Mais Philippe Martel ne pense pas à celle-là, mais à celle que fait Ardisson sur Paris-Première — beaucoup plus “littéraire” paraît-il. Pourquoi pas ?

Martel était en quelque voyage exotique, comme souvent, lorsqu’il a lu La Campagne de France. Il n’y a rien trouvé de choquant, me dit-il, du point de vue idéologique. Et il a été stupéfait, à son retour en France, d’apprendre la fureur qu’avait déclenchée ce livre, et la campagne dont je faisais l’objet.

Lui dit le plus grand bien de ce volume de journal, à une réserve près, à laquelle je suis très sensible. Il dit avoir été troublé par la façon dont je parle d’Étienne, un ami, décrit par moi, selon lui, avec une méticulosité d’entomologiste qui fait froid dans le dos. Je me souviens que j’étais alors sous l’influence du journal de Nabe, où j’admirais la justesse et la précision de la description des rapports de l’écrivain avec un de ses lecteurs, un certain Mazet — justesse et précision dont je décidais ne pas devoir me priver. Philippe Martel me les reproche aujourd’hui comme cruelles, alors que mon hôte d’ici, Alexandre Albert, que du coup j’interroge, le pauvre, les trouve très noires, certes, mais passionnantes, dit-il, et donnant lieu selon lui à « quelques-unes des plus belles pages du livre ».

Encore une fois, à qui se fier, si ce n’est à soi seul ?

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