Renaud Camus, dix pages en moins
par Alain Salles

La Campagne de France est à nouveau disponible, expurgé de ses passages litigieux et précédés d'un long avant-propos de son éditeur, Claude Durand
 
 
 

Un peu plus de deux mois après avoir été retiré de la vente, La Campagne de France, Journal 1994, de Renaud Camus, reparaît chez Fayard dans une version expurgée (Le Monde du 1er juin). Il a été, mardi 4 juillet, «remis à la disposition des libraires», ce qui signifie qu'ils peuvent désormais en passer commande, mais il ne leur a pas été livré d'office, comme le veut l'usage. Les passages jugés antisémites ont été retirés après un avis de Me Henri Leclerc, avocat de Fayard et président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme. Les passages supprimés sont remplacés par des blancs. Dans l'édition expurgée de P.A. (1997), l'éditeur habituel de Renaud Camus, Paul Otchakovsky-Laurens (POL), avait, lui, fait précéder les blancs de la mention : «paragraphe retiré, à la demande de l'éditeur».

Claude Durand, PDG de Fayard, a donc choisi une solution proche, après la polémique déclenchée en avril (plusieurs critiques élogieuses de La Campagne de France avaient paru, dans divers journaux, avant que Marc Weitzmann, dans les Inrockuptibles du 18 avril, ne souligne les attaques de Renaud Camus contre les «collaborateurs juifs» du "Panorama" de France-Culture) (Le Monde du 21 avril). La réédition s'accompagne d'un avant-propos de l'éditeur «assorti de quelques matériaux et réflexions pour une étude socio-médiologique de "l'affaire Camus"». Dans ces trente-six pages, celui-ci s'explique sur les raisons qui l'ont conduit à publier La Campagne de France (lire ci-dessous) et conclut : « Je me suis senti dans la situation d'un avocat ayant pignon sur rue, à la tête d'un cabinet réputé, à qui le plus mauvais innocent qui soit (n'a-t-il pas, par défi et amertume, annoncé littéralement ce qui l'attendait, tout en en sous-estimant grandement l'ampleur et la violence?) vient demander d'assurer sa défense. Douteux, le cas Camus? Toujours la liberté d'expression doit pouvoir être défendue à l'excès et au bénéfice du doute. »

«EVENEMENT MINUSCULE»

Mais, surtout, Claude Durand revient longuement sur la polémique médiatique qui, à ses yeux, a transformé un incident en une véritable "affaire" : «Le médiologue étudiera à partir de là les connexions de réseaux qui se sont opérées pour faire d'un événement somme toute minuscule (visant quelques pages d'un ouvrage qui en compte cinq cents, d'un auteur dont la diffusion habituelle oscille entre mille et trois mille exemplaires) une affaire couvrant des dizaines de pages de quotidiens et magazines nationaux (une part notable des grands périodiques ont su, en l'occurrence, quant à eux, raison et sens des proportions garder).» Il consacre une large part de son texte - probablement pour aider dans son travail le "médiologue" qu'il appelle de ses voeux - à dénoncer «l'appartenance» de tel ou tel des protagonistes de "l'affaire", à tel journal, telle maison d'édition, telle revue : «Je me permettrai (...) chaque fois qu'il sera question d'un protagoniste permanent ou épisodique de l'affaire, de lui accoler un badge, comme on fait dans les colloques, forums et congrès, spécifiant les médias avec qui il entretient des relations permanentes ou irrégulières (...) Non que ce type d'appartenance détermine forcément une position individuelle dans une affaire de ce genre, mais la fréquence de certains badges intéressera le spécialiste des réseaux d'influence (...).»

Claude Durand s'attache aussi à défendre l'oeuvre de Renaud Camus, son originalité d'écrivain. Il souhaite ramener le débat sur le terrain littéraire (lire ci-dessous) en soulignant les dangers que feraient courir à la création une campagne, des appels à la censure visant à «accélérer une mise au pas politiquement correcte de la critique et, par suite, de son objet même, la littérature». Editeur réputé depuis des années pour son travail dans le domaine des essais et des documents, Claude Durand a souhaité, comme il le rappelle dans son avant-propos, consacrer la fin de sa carrière à développer le domaine de la fiction chez Fayard. C'est ce qui l'avait conduit à engager Jean-Marc Roberts. Depuis le départ de celui-ci pour Stock, Claude Durand a repris en main la littérature, dans sa maison et souhaitait y accueillir les auteurs les plus divers. L'arrivée de Renaud Camus, écrivain qui a ses fidèles depuis Tricks, s'inscrit en partie dans ce contexte.

Mais "l'affaire Camus", malgré les explications que donne aujourd'hui Claude Durand, dépasse le cadre littéraire et le cas d'un romancier changeant d'éditeur. D'une part, parce que POL souhaite continuer de publier les romans de Renaud Camus. D'autre part, parce que les passages incriminés, aujourd'hui supprimés, ne sont pas, contrairement à ce qu'affirme le PDG de Fayard, nés d'un «harcèlement médiatique» qui aurait «créé l'événement de toutes pièces».

L'indignation a été forte parce qu'il ne s'agissait en rien, dans ce Journal intime, d'un geste littéraire (si odieux fût-il), mais de déclarations politiques rappelant une époque de triste mémoire, notamment lorsque Renaud Camus compte le nombre de «collaborateurs juifs» dans une émission de radio, ou lorsqu'il souhaite que les «musulmans de souche» se sentent «toujours un peu étrangers» en France. Ou encore lorsqu'il se fait juge de ce qui serait, ou non, «vraiment français» : «Il m'agace et m'attriste de voir et d'entendre cette expérience, cette culture et cette civilisation avoir pour principaux porte-parole et organes d'expression, dans de très nombreux cas, une majorité de juifs, français de première ou seconde génération bien souvent, qui ne participent pas directement de cette expérience, qui plus d'une fois en maltraitent les noms propres, et qui expriment cette culture et cette civilisation - même si c'est très savamment - d'une façon qui lui est extérieure.»

Enfin, si Claude Durand estime que le débat autour de La Campagne de France est l'oeuvre de «pyromanes», de «souffleurs de braise» et de quelques «procureurs», «nouveaux barbares à visage humaniste», il est peu probable que son texte, qui ne se cache pas d'être volontiers dénonciateur et très ouvertement polémique, contribue à en dégager enfin clairement les enjeux. Quant à Renaud Camus, il s'adresse à ses nouveaux lecteurs, dans un bref texte qui suit celui de Claude Durand, pour introduire cette nouvelle édition, estimant qu'«il y a quelque absurdité à soustraire d'un ouvrage des phrases qui ont traîné deux mois durant dans toutes les gazettes. Elles s'y trouvaient sans leur contexte. Voici leur contexte sans elles.»
 

Alain Salles

* Sur France-Culture, le vendredi 7 juillet de 12h45 à 13h30, "La suite dans les idées" aura pour thème "L'Affaire Renaud Camus" et réunira, autour du producteur de l'émission Sylvain Bourmeau, le philosophe Alain Finkielkraut et le germaniste Lionel Richard.