L'autodéfense de Renaud Camus
Par Patrick Kéchichian
 
 
 
 
 
 

Etre troublé, ébranlé, c'est faiblir, puis déchoir. L'urgence est toujours et partout de ne se donner jamais tort. Dans la constitution de sa "personnalité artistique" (comme il dit), à laquelle, en homme cultivé, il a largement contribué, Renaud Camus a choisi le genre raide et droit, martial. Devant l'adversité et le réel tourment représentés par l'"affaire" qui a porté son nom au printemps de cette année, mille attitudes et autant de réactions eussent été possibles. Il a choisi, non sans un certain panache, de se camper définitivement dans la pose de l'offensé, toujours raide et droit. Posture commode en ce qu'elle permet de récuser toute parole critique, tout propos n'émanant pas du camp des "amis". Ainsi, tout ce qui a pu être écrit et pensé, moins contre lui que contre une expression se plaisant à errer à l'abord des plus mauvais lieux idéologiques, n'a pu être écrit et pensé que par ses "ennemis". Le tour est joué. Inutile d'écouter, de discuter, de se troubler. Et l'offensé de se draper dans sa dignité bafouée, de mépriser, en un juste retour des choses, ceux qui, il en est convaincu, n'avaient qu'un but: l'abreuver de leur mépris.

Certes, Renaud Camus est de bonne foi. Le problème est ailleurs, dans le seul, l'exclusif, centre de gravité de cette bonne foi: lui-même. A partir de cet inamovible ancrage, le monde devient simple comme bonjour: d'un côté, ceux qui se rangent auprès de lui pour le défendre («mes troupes», dit-il); de l'autre, les agresseurs pervers et malveillants, journaux en tête. Passer par la case de l'autre pour faire retour sur soi n'est jamais, pas une seconde, envisagé.

Finalement, Renaud Camus ne fait que revendiquer une hautaine et aristocratique singularité, et le droit de penser ce qu'il veut, lui qui n'a de pouvoir que de sa plume. Mais il prend soin de réclamer un droit complémentaire : celui de se contredire - son Journal étant le témoin absolu et maniaque de cette pensée en perpétuel devenir. C'est d'ailleurs l'une de ses lignes de défense constante. Ce que j'ai écrit un jour - en comptabilisant le nombre de juifs dans une émission de France-Culture ou en accordant des brevets maurassiens de nationalité culturelle - ne peut être détaché de ce que j'ai pensé la veille et de ce que j'écrirai le lendemain. En conséquence, toute citation de mon Journal faite d'un paragraphe écrit un jour X est fatalement tronquée du jour Y, etc.

Trois livres paraissent aujourd'hui. Passons rapidement sur les deux derniers. Le Journal 1995 (Fayard) s'inscrit dans la longue suite des volumes précédents. Tous ont paru chez POL, sauf le dernier, La Campagne de France, Journal 1994 - d'où est née la polémique -, publié au printemps chez Fayard, puis retiré de la vente, enfin réédité amputé des passages litigieux. Ne lisez pas ce livre! est une sorte d'extension, en arborescence - par Net interposé -, à la manière de Roubaud, d'un livre précédemment paru (P.A., POL, 1997); arrêtons-nous au titre...

Le troisième ouvrage est donc le Journal de "l'affaire". Dans la préface, celui-ci prévient: il s'agit d'un "témoignage immédiat" sur «l'emportement furieux de toute une société (l'auteur ne recule devant aucun pathos), ou de sa presse à tout le moins; et sur la façon dont cet emportement est subi, trois mois durant, par celui qui en est l'objet». En annexe, sont reproduites les pièces de la défense - entretiens accordés à des journaux, textes d'amis...

Agressif, répondant à ce que Camus a perçu comme une agression, son titre est conforme au parfait manichéisme de l'auteur. On passe du sourire - par exemple lorsqu'il exprime son mécontentement devant la préface contournée, à multiples détentes, que le PDG de Fayard, Claude Durand, donna à la réédition de sa Campagne de France - à la tristesse et à l'accablement face à un tel acharnement dans l'erreur doublée d'une risible naïveté quant à tous les complots qui se seraient, de maisons d'édition en rédactions de journaux, tramés contre lui : sa lecture exclusivement défensive des événements en pâtit.

Tout est tiré vers le bas; la moindre réaction ou absence de réaction est analysée au pire. Certes, la passion polémique, quelques coups bas et le désir de nuire n'ont pas été absents de cette affaire. Mais comme Camus y répond avec lourdeur, raideur et, oui, sottise!
 

Patrick Kéchichian
 

CORBEAUX Journal 9 avril - 9 juillet 2000 de Renaud Camus. Les Impressions nouvelles, 286 p., 125F  (19,05 euros).

LA SALLE DES PIERRES Journal 1995 de Renaud Camus. Fayard, 374 p., 150F (22,86 euros).

NE LISEZ PAS CE LIVRE ! de Renaud Camus. POL, 180 p., 99F (15,09 euros).