Claude Durand absout Renaud Camus
L'Avocat du diable
Par Jérôme Garcin
 
 
 
 

Les vacances approchaient. L'air sentait l'abricot et la crème à bronzer. Dans la rue, les femmes étaient en fleur et les hommes, crâneurs. On avait gagné la Coupe d'Europe. Les chiffres de l'INSEE étaient au beau fixe. Et la condamnation de Baise-moi avait soudain détourné les projecteurs vers le Conseil d'Etat, déplacé les consciences inquisitrices vers un groupuscule d'intégristes, exigé des derniers irréductibles qu'ils débattent du nouveau thème de l'été: la censure au cinéma.
 

On espérait donc en avoir fini avec "l'affaire Camus". Car elle n'avait que trop duré. Trois mois de philippiques, d'anathèmes et de procès avaient réussi à métamorphoser un diariste acariâtre en figure tutélaire ; un auteur inclinant non seulement à l'antisémitisme mais aussi à la xénophobie, en pur intellectuel ; un écrivain obscur, en futur best-seller. La Campagne de France portait bien son nom. Celui d'une véritable guerre nationale qui opposait les avocats du «martyr» aux contempteurs du «démon».

Or voici que, par la faute de Claude Durand, le dossier que l'on croyait clos est rouvert, et de la pire façon qui soit. Après avoir lui-même retiré des librairies La Campagne de France, le PDG de Fayard a choisi de le remettre en vente. Comble du pharisaïsme, le livre est désormais expurgé des passages que les lecteurs de journaux, où ils ont été reproduits en boucle depuis trois mois, connaissent par coeur. (Notons que les lignes très symptomatiques où, en raison de son «fort accent américain», il dénie à Mary Pierce le droit de représenter la France ont également sauté.) Mais il est surtout précédé d'un avant-propos de Claude Durand, long de 35 pages. Que le patron de Fayard, dont le parcours professionnel était jusqu'alors d'une grande droiture, ait voulu profiter de cette réédition caviardée pour justifier sa fonction et défendre son auteur était légitime, et courageux. Seulement voilà, on attendait une explication, on tombe sur un fumeux exercice de rhétorique. On escomptait un plaidoyer, on découvre un réquisitoire. On imaginait un credo, on assiste, accablé, au spectacle de la mauvaise foi.

Des phrases de Renaud Camus qui ont suscité l'émoi que l'on sait, il est à peine question dans cette préface. Le relevé comptable, sur France-Culture, des représentants de «la race juive», les actes de «censure» perpétrés par «l'idéologie dominante antiraciste», ou encore «l'agacement et la tristesse» qu'éprouve Camus à constater que «la civilisation française a pour principaux porte-paroles une majorité de Juifs», tout cela n'inspire à l'éditeur qu'un sentiment admiratif. «A la lecture de son manuscrit, écrit-il, je suis frappé par l'absence de précautions, la hauteur, voire l'insolence, en tout cas la liberté de ton de Renaud Camus [...]».

Rien, ni dans ce livre ni dans les précédents, qui sont du même acabit, ne justifie, selon, Claude Durand, les accusations d'antisémitisme formulées contre son protégé. Il s'essaie au traité de "médiologie", cher à Régis Debray, pour démontrer qu'il n'y a pas d'affaire Camus, sinon celle, inventée de toutes pièces, par un milieu littéraire et médiatique forcément corrompu. Une mafia qui aurait ourdi un vaste complot pour faire payer à nos deux archanges, Claude Durand et Renaud Camus, leur liberté, leur intégrité, leur probité. Les yeux nous en tombent. «On tente, assure l'éditeur, de faire passer un crime de lèse-journalisme pour l'oeuvre d'un antisémite, raciste et xénophobe invétéré.» France-Culture, le Monde, le Nouvel Observateur, Grasset, Gallimard, Stock, le Point, Elle, LCI sont, parmi d'autres, les auteurs de cette «campagne de déstabilisation si bien orchestrée». On s'étonne de ne point trouver, dans cette conjuration planétaire, le Times, le Spiegel, CNN et Internet.
 

Au terme de sa préface, Claude Durand, qui abandonne Renaud Camus sur le bord de son raisonnement, glisse de la paranoïa à la mégalomanie. En surface, il y avait une "affaire Camus" mais, en profondeur, il s'agissait d'une affaire Durand. C'est en effet l'incorruptible PDG de Fayard - un nouveau juge Falcone, somme toute - que le milieu aurait voulu éradiquer. «En donnant l'asile à un hôte indésirable, j'ai attiré sur lui plus d'ennuis qu'il n'en eût essuyés autre part.» Réincarné en paratonnerre, Claude Durand réussit la double prouesse de poser en héros et d'attirer la foudre vers lui. La dialectique est confondante. Elle serait même risible si elle ne visait à dédouaner l'auteur pervers de propos infâmes.

Et que Claude Durand ne me fasse pas le mauvais procès de vouloir défendre ici la corporation des éditeurs et des journalistes, dont, tout à son fantasme, il se prétend aujourd'hui la victime. Il sait bien que je n'ai jamais manqué de dénoncer certaines collusions et, dans nos métiers, de graves manquements à la déontologie. Il sait aussi que j'ai toujours estimé son exigence et même sa bravoure. Je n'ai pas oublié que ce traducteur de García Márquez, éditeur de Soljenitsyne, de Kadaré et de Claude Lanzmann fut le seul, quand le Syndicat national de l'Edition se retranchait lâchement dans ses appartements, à écrire à la une du Monde qu'il était disposé, lui, à publier les Versets sataniques, de Salman Rushdie, et à braver physiquement la fatwa. Je m'autorise donc de cette fidélité à sa personne et à son travail pour lui dire que sa préface est indigne de lui. C'est bien simple, on dirait du Renaud Camus.

Jérôme Garçin.