Laboratoire de catastrophe générale
Le Théâtre des opérations 2000-2001
(extrait, pp. 127-130)
Par Maurice G. Dantec
 
 
 
 
 

Puisque Dieu est la Toute-Puissance, Son sens de l'humour est probablement infini. Il est probable aussi que ce soit à nos dépens.

Arrivée en France en plein milieu de l'affaire Renaud Camus. Comme d'autres avant lui, et encore plus après selon toute vraisemblance, Renaud Camus sert de bouc émissaire, de «fétiche» d'occasion à une gauche totalitaire en plein désarroi depuis que sa baudruche démonique préférée (et qu'elle a largement contribué à gonfler) a plus ou moins explosé il y a deux ans sous les poussées centrifuges des innombrables crétinismes et sous-crétinismes qu'elle recèle. Du coup, on le comprend mieux en lisant les éditoriaux du Nouvel Obs ou de Bertrand Poirot-Delpech, la disparition (prévisible) du Front national ne signifie pas - loin de là - l'éloignement même temporaire du «danger». La «bête immonde» est plus que jamais présente et d'autant plus menaçante que ses idées ont eu le temps de «diffuser» par capillarité dans tous les «espaces de la Nation». Il faut d'urgence, comme au temps de la «République en danger» ou du «communisme de guerre», «ranimer la vigilance» et «mobiliser les opinions». Il faut d'urgence surveiller et punir, avec sans cesse plus de rigueur et de sévérité. Chaque «citoyen» est ainsi appelé à la délation et à la commémoration festive de l'hyperflicage, le flicage par tous et pour tous le sourire aux lèvres. Et comme on sait aujourd'hui, en écoutant les bavasseries rosâtres d'un Jack Lang, que «tout citoyen est un artiste», on dira donc que la France socialiste est la toute première des républiques populaires qui ait réussi, et survécu au siècle de sa naissance.

Comme on le sait, les «Révolutions», qui ne visent qu'à leur propre entretien, et à l'extermination de la pensée critique, ont constamment besoin de charbon frais pour ranimer la flamme, et si la houille vient à manquer on est prêt à user de tous les expédients pour que la chaudière continue à ronfler. L'idéologie postconsumériste et néo-humanitaire de SOS Racisme et de Ras le Front, ou d'autres plumitifs de même acabit, contribue directement à l'instauration d'un véritable climat de guerre civile idéologique ; une atmosphère générale de «Comité de salut public» permet ainsi à tous les agents d'ambiance du totalitarisme moral, ces pères et mères la vertu «veillant» sans cesse à ce que la guillotine de la censure fonctionne pour les têtes pensantes dépassant du rang, de clouer au pilori, et avec l'impressionnant arsenal liberticide des démocraties socialistes avancées, tout ce qui n'entre pas dans leurs sinistres préconceptions de la vie, de la politique, et des hommes.

On remarquera à propos de cette affaire, qui n'en est pas une, sinon par le scandale que représente cet autodafé sans feu ni fumée, deux ou trois petites choses tout à fait révélatrices de l'état de dévastation de la pensée critique que connaît notre sombre époque :

1) En l'espace de deux ou trois générations de photocopies médiatiques, le texte original de Camus s'est vu travesti de manière outrancière, allant parfois jusqu'à la complète inversion du sens initial de ses propos. Des mots furent remplacés, d'autres coupés, certains déplacés, des phrases littéralement inventées de toutes pièces, d'autres plus classiquement extirpées de leur contexte, bref, non contents d'avoir déployé d'instinct leur minable ressentiment de sursinges démocratiques, grâce à la délation et au procédurisme judiciaire, les petits androïdes du programme d'abrutissement culturel en revinrent aux méthodes longuement éprouvées du stalinisme traditionnel.

2) Une des rares gazettes à avoir pris la défense de la liberté d'expression de Renaud Camus (ce qui ne signifie pas prendre la défense de Renaud Camus ou de ses théories) se trouve être la revue la plus en vue de la communauté homosexuelle française. Le mensuel Têtu  lui consacre en effet pas moins de huit pages, pour une interview au demeurant fort intéressante, puisque unique, où l'auteur en question a enfin les moyens de s'exprimer et de répondre point par point à ses détracteurs.

3) On apprend au cours de l'interview, pour ceux qui l'ignoraient comme moi, que Renaud Camus ne cachant pas ses orientations sexuelles, il est homo. Et depuis toujours. C'est alors que la question, troublante, traverse mon esprit : Est-ce que le mensuel Têtu  aurait pris la défense de Renaud Camus, et lui aurait consacré ne serait-ce qu'une demi-page, si cet écrivain avait été platement hétérosexuel ? La réponse est évidemment contenue dans la question : une demi-page, tout au plus.

4) En l'espace de deux ou trois tours de plume dans les tribunes libres de la grande presse quotidienne (Le Monde, Libération, Le Figaro), Renaud Camus se voit infliger la responsabilité de l'holocauste. Précédent intéressant dans la longue histoire des Etats policiers, ce n'est plus la loi qui est rétroactive, mais le «délit» lui-même !

Ainsi, les soupçons d'antisémitisme semblent pouvoir se dissoudre sans trop de problèmes dans l'homosexualité qui est, comme on le sait, furieusement tendance depuis que la biopolitique du matriarcat postféministe a décidé d'en faire la pointe de son ultime offensive contre ce qui subsiste encore de l'ordre ancien (entendez par là vingt-cinq siècles de civilisation occidentale, judéo-gréco-latino-euro-chrétienne).

Simultanément, comme un étrange écho ironique, une campagne, immédiatement relayée par les éternelles et funestes «associations locales», est lancée par un comique de télévision et une écrivaillonne plagiaire pour que des quotas ethniques soient enfin instaurées à la télévision française (suivez mon regard : comme aux Etats-Unis d'Amérique), précisément au moment où le peuple de Californie vient de mettre à bas son absurde programme de quotas ethniques dans les emplois et qu'on peut enfin se remettre à faire des films et des sitcoms sans établir de complexes matrices à plusieurs entrées pour chercher un acteur ou une actrice correspondant au rôle, ou plutôt : un rôle correspondant aux acteurs.

 On dira donc les choses ainsi : dans la démocratie totalitaire humanitaire on ne peut émettre le constat (sans doute peu significatif) que quatre «juifs» sur cinq personnes invitées (donc trop de juifs, et pas assez de catholiques) participent à une émission sur le catholicisme, on peut même être traduit en justice pour cela, ou voir son livre retiré des étals sous la menace ; en revanche on peut tout à fait, dans le même temps, brailler qu'il n'y a pas assez de noirs à la télévision, donc trop de Blancs, sans être le moins du monde inquiété, voire en étant sponsoré par des fonds publics.

Nous appellerons ça le miracle ininterrompu de l'égalité citoyenne et républicaine.
 

Maurce G. Dantec,
extrait de Laboratoire de catastrophe générale (Le Théâtre des opérations, 2000-2001), N.R.F. Gallimard, octobre 2001.