Cher Monsieur Solé,

Voici la troisième fois en l'espace de quelques mois que ladite "affaire Camus" me pousse à écrire au Monde. J'ai déjà compris que cette lettre n'a aucune chance d'être publiée, puisqu'elle ne va pas dans le sens imposé par la rédaction du journal, mais de nouveau mon indignation face à ce qui relève de la désinformation la plus absolue m'oblige à vous transmettre une réaction, ne fût-ce qu'à vous personnellement, dont je continue à estimer l'honnêteté.

Je lis en effet ceci, dans le texte intitulé "Roland Barthes dans le brasier du sens", signé Jean Birnbaum (vos éditions du 8 décembre):

Début de citation:

«Refusant aussi "de figer Barthes dans une image de doux dandy hédoniste", l'écrivain Guy Scarpetta insista à son tour sur la fécondité d'une pensée qui n'a cessé de poser le problème du lieu de l'énonciation (le fameux "d'où tu parles?"), et qui garde toute sa puissance de démystification: "Cette vigilance critique, cette intolérance au discours des bons sentiments, voilà ce qu'il faut réactiver dans la guerre des langages que nous vivons aujourd'hui", a-t-il lancé, impatient de fustiger tous ceux (tel Renaud Camus) qui ne se réclament de Barthes que pour mieux fouler aux pieds cette "responsabilité de la forme" qui fut son souci permanent.»

Fin de citation.

Que Guy Scarpetta ait critiqué Renaud Camus à l'occasion du séminaire évoqué dans l'article, je n'en sais rien, puisque je n'ai pas assisté à la rencontre en question. Toutefois, et c'est là que les choses se gâtent et que l'intoxication commence, il est totalement absurde d'écrire que Guy Scarpetta, qui connaît bien le travail de Renaud Camus, a pu lui reprocher d'être insensible à la question "d'où tu parles" et de préférer le discours des bons sentiments à l'éthique de la forme. Toute l'oeuvre de Renaud Camus (qu'il suffise de se reporter au récent Eloge du paraître, éditions P.O.L, 2000) dit et démontre exactement le contraire, et Guy Scarpetta le sait mieux que quiconque.

Que penser de tout cela? Une fois de plus, il faut constater la justesse de ce que Renaud Camus ne cesse de répéter depuis vingt ans: que les journalistes font mal leur travail, qu'ils ne lisent pas les livres dont ils sont censés rendre compte, qu'ils ignorent tout des écrivains dont ils parlent (que ce soit pour les démolir ou les porter aux nues). L'ignorance dont témoigne l'article du Monde ne rend guère honneur au journal, et rend impossible le débat d'idées que l'affaire Camus devrait susciter.

Jan Baetens
(Leuven, Belgique)