Cancer. Journal 2023

créée le dimanche 8 octobre 2023, 16 h 15
modifiée le samedi 16 mars 2024, 19 h 43
Plieux, dimanche 8 octobre 2023, onze heures et quart, le matin.
Comme je suis un grand partisan de François Civil et que j’aime beaucoup Les Trois Mousquetaires, je me faisais une vraie joie du film de Martin Bourboulon. Hélas, c’est une grosse déception. D’abord il a été tourné avec ce procédé qui fait tant de ravages dans le cinéma contemporain, qui est plus commode et beaucoup plus économique, je suppose, dont j’ignore le nom (c’est lié à un type de caméra, il me semble, ou bien à un genre de pellicule) et qui impose à l’image une sorte de mélasse permanente, passablement sinistre, que la franche lumière ne parvient pas à percer. Pour rester dans la vraisemblance on est constamment dans l’entre chien et loup : tout semble se passer à cinq heures de l’après-midi en novembre, dans le brouillard et la pluie. Sur ces Trois Mousquetaires-là le soleil ne se lève jamais : pas un coin de ciel bleu. Même la cour du roi et les appartements de la reine sont très mal éclairés.

Mais il y a plus grave. Par un parti pris que je m’explique mal, le XVIIe siècle de Martin Bourboulon est une cour des Miracles. On dirait que le grand inspirateur de l’image est Jacques Callot — ce qui est une idée très surprenante pour un roman aussi enlevé, brillant et joyeux que celui de Dumas. Il faut n’avoir aucune idée de ce qu’était la France et le Paris du Grand Siècle pour imaginer que d’Artagnan se présente à M. de Tréville sale, mal rasé, dépenaillé au dernier degré et revêtant toutes les apparences, malgré son indéniable qualité de joli garçon, d’un gueux péniblement extrait l’instant d’avant d’un fossé tout crotté. Certes le cadet de Gascogne ne roulait pas sur l’or, bien sûr il avait subi en chemin force mésaventures, mais enfin c’était un gentilhomme qui désirait une place dans le plus prestigieux régiment du royaume : on imagine qu’il aurait fait pour la circonstance un brin de toilette, ne serait-ce que par rigueur militaire. Il est vrai que les mousquetaires patentés sont aussi sales et mal tenus que lui, et leur capitaine n’est pas beaucoup plus soigné de sa personne. On veut bien que l’hygiène au temps de Richelieu n’ait pas été la nôtre, ou celle du siècle dernier, mais enfin à la cour ou dans son entourage, à Paris, parmi la noblesse civile et militaire, rien dans la peinture de l’époque n’insinue que les gens étaient aussi mal lavés et surtout aussi mal habillés que le film les montre. Même lorsque d’Artagnan et ses amis vont au Louvre pour être présentés au roi, ils ont l’air d’avoir passé trois jours dans le poêle de Descartes, de n’avoir pas changé de vêtements depuis trois ans et d’avoir vécu entre-temps trois campagnes d’hiver en Suède et de canicule en Barbarie. Avec cette nième resucée du chef-d’œuvre, on tient Les Trois Mousquetaires du bidonville global, l’armée des morts-vivants, la zombie-force. Bien sûr on pourrait supposer une conception très sombre du roman, un Dumas revisité, qui nous aurait échappé jusqu’à présent. Mais on ne distingue pas de conception du tout, on demeure dans le pur divertissement, au reste assez peu divertissant, car l’intrigue, qui prend beaucoup de libertés  avec le livre, ne tient pas debout — rien à voir avec La Reine Margot de Chéreau, par exemple.

Je constate avec étonnement que la critique vante beaucoup la somptuosité des décors. Il est vrai qu’on voit passer, intérieur et extérieur, beaucoup de monuments français, quelques-uns peu connus et deux ou trois très jolis, dans la grisaille générale. Mais seule la Grande Déculturation peut faire penser que le public s’accommodera de l’accumulation des anachronismes stylistiques. Le Louvre qu’on voit est louis-quatorzien et Napoléon III, en 1627, et Louis XIII et sa femme ont une grande conversation dans un parc, sur fond de Chantilly du duc d’Aumale. À noter que le Louis XIII de Louis Garrel est à peu près le seul personnage qui ait une personnalité quelconque, et même une espèce de vraisemblance, grâce à la remarquable composition de l’acteur. On a dû penser que Richelieu ne disait plus rien à personne, car c’est un personnage tout à fait falot, auquel le scénario, contrairement au roman, ne donne aucune importance, et à peu près rien à dire. Tout juste le voit-on ourdir de sombres desseins avec une milady de Winter aux airs de Musidora ou de grande cocotte 1900, très anachronique elle aussi. Quant à Constance Bonacieux, sans doute pour que le public contemporain ne soit pas trop dépaysé, elle est arabe.

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