La Ligne claire. Journal 2019

créée le mardi 27 août 2019, 8 h 34
modifiée le mardi 27 août 2019, 9 h 52
Montpellier, hôtel Mercure-Centre, mardi 27 août 2019, ch. 227, une heure du matin.
Cette après-midi, avant de quitter Plieux pour Montpellier avec Pierre et Jeanne, j’ai reçu la visite d’un jeune historien allemand, spécialiste d’histoire médiévale anglaise, bizarrement, et qui fait une thèse sur le Percy qui fut gouverneur de Bordeaux, pendant la guerre de Cent Ans. Heureusement, nous avions Alnwick, son château, son immense librairie de seconde main dans une ancienne gare et les beautés du Northumberland comme sujet de conversation consolatoire, car tous les autres étaient bien affligeants. Le pauvre garçon, quoique aimable et très souriant, est horrifié de ce qui arrive à son pays comme moi au mien, et tous les deux à l’Europe. Il dit que sa sœur de gauche commence à être un peu troublée, quand elle veut mettre son enfant à l’école, de ne trouver près de chez elle que des écoles où non plus quarante pour cent, comme de son temps, mais quatre-vingt-dix-huit pour cent des enfants sont d’origine étrangère. Lui-même déclare être à vingt-huit ans de la dernière génération qui aura connu en Allemagne une enfance allemande. Il remarque que les Allemands ont survécu à la guerre de Trente Ans, à la Première Guerre mondiale, à la Seconde, mais que cette fois c’est fini, ils disparaissent, ils n’ont plus de pays.  

Son plus grand sujet d’étonnement, comme le mien, est d’être au sein de son entourage à peu près seul à être désespéré de ce qui se produit. Il dit que les gens de son âge ne comprennent rien à son émoi, et d’ailleurs ne remarquent même pas le phénomène dont il essaie de leur parler. Et pour les plus jeunes c’est encore pis. Les adolescents et les enfants de souche allemande en Allemagne sont tout à fait habitués à être une minorité dans leur propre pays, et ils n’imaginent même pas qu’il puisse et qu’il ait jamais pu en aller différemment. 

Il est évident qu’un garçon comme celui-là, intelligent et cultivé, et qui a fait pour venir me voir un voyage long et compliqué, accomplissant même à pied, par grande chaleur, les derniers kilomètres, à partir de Lectoure, où il a refusé d’être raccompagné en voiture, attend de moi quelque chose, un conseil, une voie ouverte, un projet, une espérance. Et l’horrible vérité est que je n’ai rien à lui offrir, sinon l’assurance que je le comprends parfaitement, et partage à cent pour cent son chagrin, et d’abord son incompréhension. Pourquoi les gens ne se révoltent-ils pas ? Pourquoi acceptent-ils passivement, sans même avoir l’air de s’en rendre compte, et comme une chose allant de soi, ce qui pour vingt ou trente générations de leurs aïeux a été l’horreur absolue, ce que pour éviter aucun sacrifice n’était trop grand, y compris celui de la vie : la perte de leur patrie, son partage imposé avec des étrangers, l’occupation par des envahisseurs peu amènes de la terre de leurs ancêtres ? 

Que puis-je dire ? Que puis-je faire ? Même entre le très petit nombre des éveillés et des révoltés il paraît impossible de créer une union : ils ne s’aiment pas, ils ne s’aident pas, il n’y a entre eux aucune coopération, et pour ma part je ne suis pas du tout populaire parmi eux. Les manifestations dont on déplorait il y a dix ans qu’elles ne réunissent que trois mille personnes quand on en attendait cent mille et en espérait un million en rassemblent aujourd’hui trois cents, et encore, dans les bons jours. En Allemagne, celles de Pegida à Dresde et ailleurs se sont totalement essoufflées, dit mon visiteur. Le Conseil National de la Résistance Européenne n’a pratiquement rien d’européen et se trouve en train de perdre ce qu’il avait de national (pas plus tard qu’hier Paul-Marie Coûteaux m’écrivait une lettre très désagréable, déplorant notre inaction et se plaignant dans le même temps de recevoir trop de messages, sa boîte à lettres électronique en étant encombrée, et par des vétilles). Je veux bien monter au sommet de ma plus haute tour et me jeter de là dans le vide, mais même cela n’aurait pas le moindre effet. Le suicide de Dominique Venner à Notre-Dame n’a servi à rien, il n’a suscité aucun émoi dans la masse du peuple, qui n’en a même pas été informée. La voie politique est totalement barrée, la circulation y est entièrement réglée et contrôlée par l’adversaire. J’exclus la violence. Que reste-t-il ? 

J’observe qu’autour de moi beaucoup renoncent. Ils ne veulent pas se gâcher la vie plus longtemps, et entendent profiter aussi tranquillement que possible des années qui leur restent. Les plus jeunes se convertiront, ou bien ils sont déjà résignés, comme à une chose tout à fait normale, au statut de citoyen de seconde zone. Je n’en suis pas là. Je ne baisse pas les bras. Mais j’avoue n’avoir plus d’idée, et ne savoir plus à quel saint me vouer, ni à quel projet. J’ai dû bien décevoir ce malheureux garçon, qui venait chercher la bonne parole. Je ne l’ai pas trouvée. Je ne la connais pas. Je ne pouvais partager avec lui qu’un désarroi accablé, et stupéfié. 

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