Cher Renaud Camus,
 
 
 
 
 
 
 
 

Publiez, aucune objection.

Je suis en train de survoler les pièces du dossier, et je vous avoue que, déjà las de cet imbroglio de "pour" et de "contre" après seulement une demi-heure de lecture, je laisse tomber...

Si ça peut vous dépanner, voici quelques informations que je soumets à votre sagacité, un peu comme on offre un verre d'alcool à un condamné à mort - peut-être n'avez vous pas le coeur à sourire, mais je dois vous dire que je trouve, dans mon impardonnable légèreté, ce printemps 2000 à hurler de rire...

Primo, quoi que vous ayez écrit, vous serez toujours moins antisémite que le fameux Général de Gaulle ou le non moins fameux Mitterrand (je fais toutes les citations et les commentaires qu'il faut dans mon petit opuscule, publié chez Pauvert-Fayard; demandez à Durand de vous le faire parvenir si vous ne l'avez pas...), et toujours moins lâche sur la question des expurgations que l'autre Camus, tant admiré de Jean Daniel, qui pour ne pas déplaire à la Gestapo publia en 1942 L'homme révolté amputé de son chapitre sur le juif Kafka...

Quant à la question des "hôtes" etc., il faudrait en discuter en détails (nous nous rencontrons pour en parler quand vous le désirez). Je suis moi-même assez grillé dans notre beau Milieu - pour d'autres raisons - mais concernant l'antisémitisme, et vous le savez, je suis l'un des infiniment rares qui pourrait donner des leçons à tout l'Hexagone - si j'avais ce minable travers sermonneur...

Je n'oublie pas que vous vous êtes intéressé à L'impureté de Dieu la fois où nous nous sommes croisés, et - c'est là que je voulais en venir - je veux juste rectifier une de vos affirmations. Le nom de Dieu dans l'Ancien Testament (à savoir "Iahvé" - ce n'est d'ailleurs que l'un de ses nombreux noms -, prononcé "Adonaï" dans les prières), n'est pas imprononçable : "il ne se prononce pas comme il s'écrit", disent les textes, ce qui n'est pas du tout la même chose...

Ce n'est pas sans rapport avec la question des "hôtes" et des "Français de souche". Pour aller vite, vous avez selon moi tort sur le fond, car être français, c'est être non pas dans le temps communautaire de l'Histoire de France - temps très pauvre comparé au temps retrouvé des sensations individuelles - mais être avec plus ou moins d'aisance dans la langue française; et d'autre part, être un écrivain français, comme vous ou moi, c'est se mouvoir dans un décalage désiré entre notre langue maternelle commune, et nos irréconciliables et impartageables "langues" d'artistes singuliers, inventées au fur et à mesure de nos livres respectifs, et ne s'écrivant donc pas, par définition et conséquent, comme les autres la prononcent.

Ce que l'abruti De Gaulle ne pouvait comprendre qui rétorqua à  un Américain francophile qui lui disait connaître la France depuis vingt ans: «Eh bien moi j'y vis depuis 2000 ans!» Eh bien non, Picasso connaissait mieux la France que De Gaulle (il y "vivait" depuis Lascaux) - pour la raison que De Gaulle bête et aveugle, parlait emphatiquement, donc à côté de la plaque, d'une "France" sans consistance (le «j'y vis» étant un pur phénomène de langage, bien entendu), tandis que l'étranger Picasso la peignait (paysages, êtres, et même textes - en français comme vous le savez) "depuis" une éternité lumineuse...

Pour le dire plus simplement, l'idée même de communauté, juive française ou homosexuelle, est un fantasme anti-littéraire: ce n'est donc pas le mien, puisque j'ai comme point commun avec le juif Kafka, censuré par Albert Camus, de «haïr tout ce qui ne concerne pas la littérature.»

Cordialement

Zagdanski