- Vous dites que vous n'êtes pas antisémite. Mais compter le nombre de juifs dans une émission de radio, mettre en doute leur possibilité de parler de la culture française, comment appelez-vous cela? Vos propos page 329, sur les "principaux porte-parole, et organes d'expression" qui sont "dans de très nombreux cas, une majorité de juifs"  dépassent la réaction d'humeur a une simple émission.

- Permettez-moi de vous faire remarquer que la plupart de vos questions présupposent leurs réponses et considèrent comme acquis nombre de points qui ne le sont pas du tout. Ils ne le sont pas auprès de mes lecteurs réguliers, en tout cas, que deux mois de campagne contre moi n'ont pas pu convaincre un seul instant que j'étais antisémite. Ce point est peut-être digne de considération. Mais bien sûr je ne peux pas demander à vos lecteurs à vous de lire quarante livres, ni même trois ou quatre...

Je n'ai jamais si peu que ce soit mis en doute la possibilité de journalistes juifs à parler de la culture française, à la comprendre ou à l'aimer. Jamais, jamais, jamais. Dans le flux  de pensées parfois déplaisantes que reflète scrupuleusement un journal tel que le mien, je me suis demandé ce qui m'agaçait certains jours dans la façon dont certains journalistes juifs parlaient de certains aspects de la culture française. Leur judéité? Non, cette hypothèse est écartée dès la page suivante. Le fait qu'ils soient des Français de "première ou deuxième" génération? Non. En l'occurrence c'était plutôt une inadéquation d'ordre social. «Une intimité très marquée avec le faubourg Saint-Germain du petit Marcel, le profond de la campagne française n'y préparerait pas davantage.» Voilà la conclusion de la p. 330.

Ce n'est pas une conclusion "sympathique",  mais elle n'est pas criminelle. Mon ennemi depuis toujours, c'est "l'idéologie du sympa". Et rien n'est vain comme ces journaux intimes où l'auteur ne se montre jamais que sous le meilleur jour. Mes propos sont peut-être "dangereux", mais c'est avant tout pour moi. La preuve. Et c'est moi que je traite le plus mal. Et c'est à moi que je pose, par scrupule, les questions les plus embarrassantes, bien avant vous. Par exemple : est-ce que je ne serais pas un peu antisémite, pour parler si librement de journalistes juifs ? Et la réponse est non.

- Vous êtes aussi hostile au métissage, à l'idéologie dominante de l'antiracisme. Vous estimez que "des musulmans ne sauraient être tout a fait français", au nom de la culture et de l'expérience française. Proust et Bergson appartiennent aussi a "la France de Charles d'Orléans, de Marivaux". Cette défense de la culture française doit-elle passer par des propos racistes ?

- Non, je ne suis pas "hostile au métissage". Je m'interroge  sur le consensus à propos du métissage comme valeur universelle, dans la mesure où il impliquerait à terme un monde où nous serions tous semblables, où il n'y aurait plus de différences, plus d'ailleurs, plus d'étranger. Ce dont j'ai le goût, je l'ai écrit cent fois - mais j'ai trois mille lecteurs et la presse en a des millions -, c'est de l'étranger, et de cette étrangèreté, cette lontanenza, qui est selon moi le caractère même de l'art. Et je me demande pourquoi il est nécessaire de mentir en faveur du métissage, comme lorsque on prétend que seules les sociétés métissées ont produit un grand art ou un grand art de vivre - ce qui bien entendu ne tient pas debout historiquement. Mais ça ne prouve rien contre le métissage.

Je ne suis pas "hostile à l'idéologie dominante de l'antiracisme". Je me réjouis qu'elle soit dominante plutôt qu'une autre, mais je m'interroge sur les dangers d'une domination trop extrême, qui écraserait de la vérité - laquelle est toujours objection à ce qui domine trop, scrupule, reste du sens.

"Des musulmans ne sauraient être tout à fait français" en un sens archaïque du mot "français" qu'eux-mêmes comprennent parfaitement quand ils parlent des "Français" pour désigner ce qu'on ne peut plus appeler les "Français de souche". Or ce sens-là de français est périmé - eux, moi et vous je suppose sommes d'accord sur ce point.

Quant à Proust et Bergson, vous avez l'air de me prêtez des opinions qui sont des caricatures indignes du Monde. Proust, Bergson, Marc Bloch et des dizaines d'autres sont au coeur du coeur de la culture française. Dans le cas de Proust je parle même de "l'épicentre".
 

- Votre éditeur habituel vous a fait supprimer ces passages dans P.A., il a refusé de publier le journal en l'état. Pourquoi les avoir maintenus? Regrettez-vous de les avoir écrits et publiés ? Etes-vous prêt a supprimer tous ces extraits en cas de reparution?

- Il a refusé de les enlever lui-même comme je l'y invitais, disant que ce n'était pas son rôle, ce que je comprends et respecte. Ce n'est pas mon rôle non plus. Je ne les regrette pas, je ne les crois ni criminels ni fondamentalement inadmissibles dans leur contexte originel. Mais la preuve est faite qu'il ne peuvent pas être admis par les pouvoirs médiatiques. Le paradoxe est qu'il ne sont nullement essentiels à mon propos, au sein duquel ils tiennent une place infime, en proportion. Les ayant écrits je n'avais pas de raison, moi, de les supprimer. Mais si un éditeur veut le faire, libre à lui. L'orientation des programmes du Panorama en 1994, je n'y pense pas tous les jours. Ce qui compte est la spirale du sens, son flux, ses reflux, ses méandres, ses audaces, ses scrupules - ce qu'une société purement journalistique peut le moins appréhender, car tout extrait est assassin. Mais quelques retraits...