Une pétition en faveur de l'écrivain Renaud Camus
 

Plusieurs personnalités défendent l'auteur de « La Campagne de France », accusé d'antisémitisme, estimant que « le retrait de son livre prive les lecteurs de la liberté de juger par eux-mêmes »
 

L'affaire Renaud Camus continue. Dans son Journal de l'année 1994, Campagne de France (Fayard), l'auteur critiquait « les collaborateurs juifs » du « Panorama » de France-Culture, - « Cinq participants, et quelle proportion de non-juifs, parmi eux ? », écrivait-il - provoquant une grande indignation (Le Monde des 20 avril et 4 mai) et le retrait, par l'éditeur, du livre. « Il m'agace et m'attriste, ajoutait-il, de voir et d'entendre cette expérience [française], cette culture et cette civilisation avoir pour principaux porte-parole et organes d'expression, dans de très nombreux cas, une majorité de juifs, Français de première ou de seconde génération bien souvent, qui ne participent pas directement de cette expérience. »

Laure Adler, directrice de la station et Jean-Marie Cavada, PDG de Radio-France, annoncent leur intention de saisir la justice pour incitation à la haine raciale. On se souvient que Jean-Marie Le Pen avait été condamné pour « provocation à la discrimination raciale » en 1986, pour avoir évoqué l'importance dans les médias de «Jean-François Kahn, Jean Daniel, Ivan Levaï et Elkabbach ».

Plusieurs personnes sont intervenues pour dénoncer les propos de Renaud Camus. Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, a immédiatement exprimé sa réprobation tandis que Nicholas Fox Weber prenait la défense de l'écrivain dans Le Monde du 4 mai.

Il est l'un des signataires d'une pétition rendue publique, mardi 16 mai, et signée par une centaine de personnes. Le texte s'élève contre le « climat de violence inquiétant » qui entoure l'affaire et regrette que «malgré l'extrême gravité des accusations portées contre lui », l'auteur soit « aujourd'hui dans l'impossibilité de se défendre, alors même que le retrait de son livre des librairies prive les lecteurs de la liberté de juger par eux-mêmes ». Les signataires prennent position « sans préjuger des réserves (...) sur les passages qui lui sont reprochés ».

Les premiers signataires sont : Jean-Jacques Aillagon, Marianne Alphant, Jeanne de Berg, Pierre Bergé, Damien Cabanes, Emmanuel Carrère, Christian Combaz, Madeleine Gobeil, Thierry Groensteen, Jean-Luc Hennig, Christian Jambet, Camille Laurens, Jean-Paul Marcheschi, Frédéric Mitterrand, Dominique Noguez, Charles A. Porter, Benoît Peeters, Gérard Pesson, Jean-Claude Pinson, Jean-Benoît Puech, Marie Redonnet, etc.

LANCÉE PAR UN AMI

La pétition a été lancée par l'un des meilleurs amis de Renaud Camus, l'artiste-peintre Jean-Paul Marcheschi, qui se dit « blessé par cette affaire ». Pour lui, Renaud Camus n'est pas antisémite. Il dénonce « l'unanimité effrayante qui s'est produite » et conteste que les propos en question « relèvent du tribunal de La Haye ».

Plusieurs réunions ont eu lieu dans son atelier avant d'aboutir au texte final.

Un débat a lieu entre ceux qui veulent se limiter à dénoncer le « lynchage médiatique » et ceux qui souhaitent aussi prendre leur distance avec les textes de Renaud Camus. Une première version ne mentionnait pas ces réserves.

L'écrivain Dominique Noguez « déplore que le livre ait été retiré de la vente », mais estime qu'« il faut marquer  sa réprobation » des propos de Renaud Camus. Danièle Sallenave, qui a participé aux différents échanges sur la pétition, ne l'a pas signée, car le mot « réserves » lui semble trop faible. « Il s'agit d'un désaccord sur le fond des propos de Renaud Camus, pas de simples réserves », explique-t-elle. Sollicité, Alain Finkielkraut, qui a pris la défense de Renaud Camus, tout en dénonçant ces propos, ne l'a pas non plus signée.

Ce conflit entre l'atteinte à la liberté d'expression et la condamnation des propos de Renaud Camus a également traversé Fayard. Devant l'ampleur de la polémique déclenchée, l'éditeur a décidé de retirer de la vente l'ensemble des exemplaires mis en circulation. Cette initiative grave est rarissime, quand elle n'est pas la conséquence d'une décision de justice. Dans un premier temps, le PDG Claude Durand - qui a lu et accepté le texte de Renaud Camus, en lui faisant modifier certains passages -, a défendu la publication, au nom de la liberté d'expression, tout en exprimant son désaccord sur le fond des propos. La veille du retrait de la vente, il déclarait encore y réfléchir « à deux fois avant de sortir ses ciseaux face à un écrivain ». Il se range finalement à l'argumentation d'Olivier Bétourné, vice-président de Fayard, et accepte le retrait de la vente. Les deux responsables de Fayard soulignent que la décision est conjointe. Jean-Etienne Cohen-Seat, directeur délégué d'Hachette-Livres, groupe auquel appartient Fayard, approuve la décision de retrait de la vente en estimant que « le livre de Renaud Camus pue ».

« SI C'ÉTAIT À REFAIRE »

Avant d'être accepté par Fayard, ce volume du Journal avait été refusé par POL, éditeur habituel depuis ses débuts de Renaud Camus, en raison des passages à l'origine de la polémique. Dans un précédent livre P. A. (POL, 1997), qui empruntait à ce Journal une partie de son matériau, Paul Otchakovsky-Laurens avait fait retirer ces mêmes passages. Quand Renaud Camus lui a représenté ce Journal de l'année 1994, avec les extraits incriminés, l'éditeur a refusé de le faire paraître. L'écrivain est parti à la recherche d'un autre éditeur. Denis Roche, au Seuil, l'a refusé pour les mêmes raisons.

Paul Otchakovsky-Laurens continue à défendre son auteur, dont il vient de faire paraître un Répertoire des délicatesses de la langue française. Deux autres textes seront prochainement en librairie : Eloge du paraître et Night Sound, sur le peintre Josef Albers. Chez Fayard, Olivier Bétourné ne veut pas commenter la pétition :

« C'était ma responsabilité de prendre la décision du retrait. Si c'était à refaire, je recommencerais sans hésiter. » Pour lui, la question d'une reparution de l'ouvrage, sans les extraits incriminés - ce qui n'est pas demandé par la pétition - « n'est pas à l'ordre du jour ».

Alain Salles