Persistant Camus
billet d'humeur publié dans la rubrique "Rebonds" de Libération le 10 juin 2002
Par Pierre Marcelle
 
 
 
 
 

Deux ans après, que reste-t-il de «l'affaire Renaud Camus», du nom de l'écrivain subtil et prolixe autour duquel s'orchestra, au printemps 2000, un fracas formidable ? Des accusations - graves - d'antisémitisme et de racisme, suscitées par la Campagne de France, titre de son journal de l'année 1994, il reste peu de chose... Le temps journalistique se situant, conflictuellement, à l'absolu opposé du temps littéraire, Camus poursuit en solitaire, dans Du sens (1), son infini entretien avec lui-même, entamé bien avant la polémique qui affola les pages dévolues aux polémiques ; à défaut de débattre, il se débat seul pour traquer et disséquer impitoyablement les non-dits de ses dits, dans une intime herméneutique dont la tenue a peu à voir avec un plaidoyer pro domo. Quant à ses médiatisés détracteurs, ils sont ailleurs, occupés, semble-t-il, à d'autres vanités («l'affaire Fallaci», peut-être ?) ? ce dont nul, et surtout pas Camus, ne saurait leur tenir rigueur, puisque c'est leur métier. Ils ont tranché, mais leur absence aujourd'hui laisse l'arrière-goût amer d'un inachèvement. Un aspect «il ne s'est rien passé» qui en rappelle un autre. En regard et en proportion de la «levée de boucliers» (2) de l'an 2000, la glose qui enveloppa, sur ces questions aussi, les trop bleus lendemains de la nuit du 21 avril, se réduit, faute de retour politique, à un tonitruant silence. L'orage forcit encore, pourtant, mais seul Camus aura été foudroyé. A étudier le dossier tel qu'il se repose sur le papier de Du sens, on se dit que quelque chose est advenu, dans les domaines de la culture et de l'intégrité, qui ne fait honneur ni à l'une, ni à l'autre, et qui porta à conséquences. Des clercs se sont fourvoyés à relayer - et, pis encore, à relayer de bonne foi - des faux et des fantasmes. On aimerait les entendre aujourd'hui reconsidérer «l'affaire» qu'ils ont faite, puis désertée. En leur souhaitant ce matin, sincèrement, de meilleurs ennemis que Renaud Camus.

Pierre Marcelle

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(1) (POL, 551 pages, 25 euros.) Fayard publie en écho opportun les volumes des années 1997 et 1998 du journal de Camus : Derniers Jours (422 pages, 23 euros) et Hommage au carré (585 pages, 25 euros).

(2) Lire ce cliché comme Camus - en souriant. Avant, lire (enfin) Camus.