« L'affaire » Camus
Par Philippe Lançon
 
 

La Cinquième avait prévenu par fax Libération : l'émission ripostes, dimanche, se demanderait si l'on peut «tout dire dans un journal intime». Outre Michel Polac et Marc-Edouard Nabe, deux éminents et m'as-tu-vu solipsistes, il y aurait le désormais célèbre écrivain Renaud Camus. Autant dire qu'on attend avec un plaisir féroce l'apparition de cet écrivain ni lu ni connu, peut-être grand, peut-être pas, dont on a découvert l'existence par réverbération médiatique. Mais en attendant le début, méditons sur «l'affaire», comme ils disent. Voilà un homme qui écrit des livres semble-t-il depuis 20 ans; qui, nous assure-t-on, a le souci de la langue et de son arrière-grammaire : malherbe pour les uns, Trissotin pour les autres. Un homme dont un livre, Tricks, un vrai succès, fut en 1979 préfacé, silence dans les rangs! par Roland Barthes. Dans l'instruction initiale, cette onction initiale est rappelée pour signifier soit qu'un tel homme ne peut être tout à fait mauvais, soit qu'au contraire, il a sali les saintes huiles dont on l'avait oint. Cet homme, après tant d'années dans les soutes de ce premier et seul succès, est en effet redevenu brusquement célèbre. Et pourquoi? Parce qu'il a écrit dans la campagne de France, un livre-journal pour l'instant retiré de la vente, qu'il y avait trop de juifs (il le sait, il a compté) dans une émission de radio, le Panorama de France Culture, qui elle-même n'existe plus. Si vous étiez écrivain, vous aimeriez, vous, devenir fameux en tant que petit comptable de juifs grammaticalement correct? Avoir enfin accès à ce public des gens qui ne lisent pas (ou peu) grâce à un livre que nul ne peut acheter? Non. Vous trouveriez qu'il s'agit là d'un paradoxe, ou d'un cauchemar, ou d'une espèce de fable contemporaine sur l'enflure des médias. On ne vous y reprendrait pas : la prochaine fois, vous n'écririez plus de telles âneries, ne feriez plus d'inventaire sémitique. Peut-être même tenteriez-vous d'écrire quelque chose d'intéressant. Quoique... Le livres de ce Camus-là, ses autres livres, sont désormais sur les présentoirs de la Fnac et d'ailleurs. On les vend, on les lit peut-être. On en parle en tout cas. Quel écrivain peut se vanter de faire l'objet de tant d'articles, de pétitions et contre-pétitions? Qui peut unir sir son nom, comme ce week-end sur LCI, nos deux gentils écrivains animateurs : Sollers et BHL? Etre traité par ces deux-là pendant une heure d'antisémite, de médiocre, d'imbécile, d'abject, d'auteur «extraordinairement moyen et même au dessous du moyen», c'est mieux que rien, non? Les entendre se faire valoir, avec tout ce qu'ils représentent et inspirent, sur le dos de ce Camus secondaire, n'est-ce pas pour lui une victoire, absurde, certes, mais victoire quand même? Il rôde! Il existe! Et quand l'arbitre de ce débat au sommet, le directeur de la rédaction du Monde Edwy Plenel, montre le livre retiré de la vente, n'anticipe-t-il pas sa republication en fanfare, avec dossier sur «l'affaire» en annexe et, qui sait, enfin, de nouveau, le succès? Mais au fait, de quoi parlait-on? Ah, oui : de Ripostes, avec Renaud Camus. Finalement il a refusé d'y participer. L'émission a été reportée. A la place, il y a eu débat sur la représentation des «minorités visibles». Qu'en pense Camus, écrivain et comptable ?