Renaud Camus développe le programme de son "Parti de l'In-nocence"
Sur son site Internet, l'écrivain défend une "conception raciale" de la nationalité
Par Patrick Kéchichian
 

Avec son journal La Campagne de France (Fayard), Renaud Camus avait défrayé la chronique au printemps 2000, l'écrivain ayant été accusé de racisme et d'antisémitisme. En avril de cette année, il s'en expliquait longuement dans Du sens (POL, Le Monde des 24 mai et 14 juin).

Après avoir, avec la Société de ses lecteurs, appelé à voter contre Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle, Renaud Camus s'est abstenu aux législatives de juin. Au lendemain du scrutin, il expliquait sur son site personnel (distinct de celui des lecteurs, mais en dialogue permanent avec lui) que ce "manque d'enthousiasme", et même ce "dégoût", partagés selon lui par une bonne part du "peuple français", l'avaient conduit à imaginer la création d'un "Parti de l'In-nocence". Ce concept ayant l'avantage de "poser l'innocence, philosophiquement, éthiquement, comme un idéal à atteindre..." et "de faire la liaison, par le biais de la nuisance, qui n'est qu'une sous-catégorie de la nocence, entre la morale, le contrat social, l'exigence de paix civile et l'écologie".
De quoi s'agit-il ? De "promouvoir" et "défendre" "la sécurité et la tranquillité civile, la propreté et l'intégrité du territoire urbain, suburbain et rural, le paysage, le patrimoine historique, la culture dans sa diversité et la langue dans sa complexité". Suit un "Avant-projet de programme" traitant des grands sujets comme l'école, l'écologie, la fiscalité, la politique internationale, l'Europe, que la présence de la Turquie "viderait de [son] sens", ou encore la culture «qu'on appelait jadis nationale, qui désormais l'est si peu et qui demain le sera bien moins encore».
 

LES "AMIS DU DÉSASTRE"
 

Toujours au chapitre de la culture, le Parti de l'In-nocence combat le "multiculturalisme généralisateur" et le "métissage universel". En ce qui concerne l'immigration, Renaud Camus se dit "profondément attaché au caractère français de la France et européen de l'Europe" ; il remarque que «le considérable afflux d'immigrés au cours des trente dernières années n'a pas coïncidé avec un accroissement de la douceur, de la civilité et de l'harmonie dans les échanges sociaux et dans la vie quotidienne». En conséquence, il demande que «soit mis un terme effectif à l'immigration illégale, et que l'immigration légale soit rigoureusement limitée aux strictes exigences du droit d'asile». A la suite de ce texte, Renaud Camus a développé dans sept éditoriaux publiés sur son site du 28 juin au 5 août plusieurs points de son programme. S'en prenant à ceux qu'il nomme les "Amis du Désastre" (une "congrégation d'intellectuels organiques, de journalistes, de travailleurs sociaux et de présidents d'associations" dont Le Monde serait "la gazette"), il apporte quelques précisions. «Ainsi je dis qu'il y a une "immigration de masse" parce que c'est là ce qu'enseigne, selon moi, l'observation de la rue, des wagons de métro et des cours d'école.» A propos de la sécurité, le leader du Parti de l'In-nocence pense que les «dispositions sécuritaires doivent tenir compte de la situation actuelle», «où sont très clairement lisibles les prémices inquiétantes sinon d'une guerre civile, du moins d'une guérilla urbaine ou plutôt suburbaine».
 

Soulignant ses «réserves à l'égard du concept d'égalité», Renaud Camus précise ce qu'il entend par les notions de "nation" et de "race". Il écrit : «Pendant toute la durée de ce siècle-là (...), la nationalité (...) n'a cessé de perdre du terrain, en partie sous l'influence des intellectuels, des journalistes et des hommes politiques juifs, qui pouvaient difficilement s'en accommoder si leur famille ou eux-mêmes étaient d'immigration récente, puisqu'elle semblait mettre en cause, au moins dans un premier temps, leur appartenance à la nation.» [1] «Est-ce là une conception raciste de la nationalité ? Disons plutôt que ce serait une conception raciale...» [2], conclut-il.
 

Dans ces mêmes éditoriaux, Renaud Camus répond à certaines critiques apparues dans son propre camp à la lecture de son "programme". Ainsi, l'écrivain et philosophe Alain Finkielkraut a-t-il émis des réserves sur la"conception raciale" développée par celui auquel il n'a jamais ménagé son soutien. De son côté, Rémi Pellet, professeur à Sciences-Po et vice-président de la Société des lecteurs de l'écrivain, a accusé celui-ci de "marichantalisme", tout en le dédouanant de tout «soupçon de racisme ou d'antisémitisme». Sans rompre formellement avec Renaud Camus, il nous a déclaré qu'il jugeait sa démarche "absurde" et qu'il y déplorait le glissement du domaine de la littérature à celui de la politique, sans «éléments sérieux de démonstration».

Patrick Kéchichian

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[1] Il va sans dire que cette note et la suivante ne sont pas du Monde, mais de moi. La phrase ici tronquée, curieusement, n'a aucune espèce de sens dans son état tronqué : «...la nationalité (...) n'a cessé de perdre du terrain », ça ne veut rien dire. La phrase originale est : «Pendant toute la durée de ce siècle-là, toutefois, cette manière d'envisager la nationalité, qui longtemps était allée presque sans dire, n'a cessé de perdre du terrain, en partie sous l'influence des intellectuels, des journalistes et des hommes politiques juifs, qui pouvaient difficilement s'en accommoder si leur famille ou eux-mêmes étaient d'immigration récente, puisqu'elle semblait mettre en cause, au moins dans un premier temps, leur appartenance à la nation.» Elle peut se lire en son contexte, qui seul la rend pleinement intelligible, dans l'éditorial n°6, ici même. Je précise ou rappelle, d'autre part, que c'est précisément cette phrase, et le paragraphe dont elle est tiré, qui font l'objet de l'éditorial n°7, né d'une discussion avec Alain Finkielkraut, et de ses propres objections à cette même phrase.

[2] Cette phrase judicieusement coupée dans la meilleure tradition Mondaine se lit ainsi, dans sa version originale : « Est-ce là une conception raciste de la nationalité ? Disons plutôt que ce serait une conception raciale, peut-être, s'il était bien entendu que dans ce mot de race, si fortement enraciné dans la langue mais aujourd'hui chargé d'une si forte opprobre, il n'entre pas, en l'occurrence, la moindre composante scientifique, ou plutôt biologique (car les sciences humaines interviennent tout de même, à commencer par l'histoire).» Le texte poursuit : « Mais décidément j'aime mieux dire ethnique, atavique, héréditaire : je me sens français comme un arabe se sent arabe  et comme un juif se sent juif (ce qui ne les empêche pas d'être aussi français, il va sans dire) ; et comme la majorité des Italiens se sentent encore Italiens, parce que leur famille l'a "toujours" été, et cela bien avant que l'Italie ne soit un Etat.

«Cette conception ancienne que j'évoque ici, il est très évident qu'elle n'a plus cours.» C'est elle qui «n'a cessé de perdre du terrain» pendant toute la durée du XXe siècle.