Réponse
à quelques "pétitionnaires"

Par Jean Daniel
(jdaniel@nouvelobs.com)

Dans son édition datée du jeudi 18 mai, "Le Monde" a publié une pétition en faveur de l'écrivain Renaud Camus, dont le texte laisse supposer qu'il serait dans l'impossibilité de s'exprimer.

J'ai personnellement cru devoir mettre en cause de manière caustique le concept de "sur-représentation" que M. Renaud Camus brandit pour s'agacer et s'attrister qu'une majorité de juifs puissent dans une émission de radio prétendre être les porte-parole de la culture française. M. Renaud Camus s'est exprimé ainsi dans ce journal de l'année 1994, "Campagne de France" (Fayard). Je dis et persiste à dire qu'en elle-même l'idée de sur-représentation suppose que l'on prétende compter les représentants, non pour les valoriser, comme on le fait à propos des Maghrébins dans le football, mais pour les dénoncer. Il m'est apparu que cela n'était pas digne d'un écrivain qui déclare par ailleurs s'opposer à toute espèce d'antisémitisme.

Il est évident que, pour ma part, la liberté de mettre en cause suppose la même liberté pour celui qui est mis en cause de se défendre. Je ne sache pas que M. Renaud Camus se soit trouvé dans l'impossibilité de le faire. Mais si cela était vrai, je lui offre volontiers la possibilité, en  particulier de me répondre, dans le "Nouvel Observateur".

Je suis depuis longtemps contre toute les interdictions et tous les procès. Je pense qu'en la matière les contraintes institutionnelles sont contre-productives. Je me suis opposé à la loi Gayssot sanctionnant la diffusion de propos racistes. Je me suis opposé à la saisie de tous les livres, quels qu'ils soient. Je prends parti aujourd'hui pour que M. Renaud Camus soit évidemment libre de publier, de s'exprimer et de se défendre. Je lui donne le droit de représenter ou de sur-représenter les auteurs d'humeur hypocritement maurassienne et antisémite.

Mais je ne puis m'empêcher, tout de même, de demander aux pétitionnaires si à certains moments des réactions consensuelles ne sont pas le signe de santé d'une société. L'unanimité peut cesser d'être la simple manifestation du conformisme pour devenir celle d'une mémoire nationale.

J.D.

Jean Daniel est directeur du "Nouvel Observateur"