Six mois après l'affaire
Camus suite et fin
Par Jérôme Garcin

Six mois après avoir été accusé d'antisémitisme, l'auteur de Campagne de France publie trois nouveaux livres
 
 
 

C'était bien avant la triste affaire qu'on sait. Renaud Camus n'était alors connu que d'une poignée d'affidés, dont il entretenait l'intestinale curiosité en consignant, dans son journal intime, les moindres faits et gestes de sa vie héroïque. Le volume qui couvre l'année 1995 vaut d'être lu pour le portrait, qu'il contient, d'une homme fidèle à lui-même. On dirait, à moins de cinquante ans, un vieillard précoce.

Ce "Français de souche" vit en effet reclus dans son château de Plieux, où quelques artistes le visitent à la belle saison. Il cotise aux Amis du Louvre et à la demeure historique, se présente an vain à l'Académie française, fait de longues promenades dans la campagne avec ses labradors, médite sur les beautés de sa terre et de sa langue, écoute (ou plutôt surveille) France-Culture, licencie son jardinier, écoute Wagner "en français", et fait de son éditeur, POL, une sorte d'intendant qui gère ses comptes bancaires déficitaires. Il n'aime rien tant que vomir, depuis ses mâchicoulis, "la méchante glu bien-pensiste" et "les ravageurs préjugés égalitaires". Il explique ainsi que "la race italienne a plus apporté au patrimoine mondial que la race centrafricaine" et ose un slogan digne d'un mégrétiste : "A bas Jessye Norman, vive Louise de Vilmorin !". Il voudrait être plus célèbre, plus vendu, et tient, avec Robbe-Grillet rencontré à Rio, que "tous les critiques sont des cons". Il déteste son époque à laquelle il ne reconnaît qu'une vertu, avoir inventé le Minitel et internet ; grâce à eux, et sans quitter ses vieilles poutres, il peut se pourvoir en jeunes athlètes "velus" - "mon péché mignon" -, parmi lesquels il s'honore d'un gendarme du Lot-et-Garonne et d'un vicaire périgourdin.

On imagine mal comment Renaud Camus est un homme du début du siècle. Même son antisémitisme est daté. Le problème est qu'il l'exprime en 2000, après l'horreur et la honte. "Le mieux, écrit ce dialecticien pervers en 1995, serait de se reconnaître une bonne fois raciste, xénophobe, antisémite, fasciste et ennemi du peuple, quitte à ce que nos adversaires, par la suite, soient étonnés de nous découvrir beaucoup moins raciste, xénophobe, antisémite, que notre étiquette ne l'implique." C'est d'ailleurs l'objet de cette triple publication à laquelle ses amis éditeurs ont travaillé: prouver, après la polémique nationale soulevée par le relevé comptable et nauséabond des représentants de la "race juive" sur France-Culture, que Renaud Camus n'est ni un révisionniste, ni un néo-nazi ni un illuminé. On n'en doutait pas. A la vérité, il n'est qu'un esthète maurrassien, un nationaliste désuet échappé au bon vieux temps des colonies.

Parce que, au printemps dernier, il a été stigmatisé en bête féroce et qu'on lui a prêté des doctrines d'idéologue, il a beau jeu, aujourd'hui, de se poser en victime expiatoire. Corbeaux, le journal tenu pendant l'affaire, entre avril et juillet 2000, tend à prouver combien l'auteur de La Campagne de France, que les lettres de soutien encouragent à "la résistance" (!), et à qui les proches n'hésitent pas à donner du "capitaine Dreyfus", a été empêché de s'exprimer, de s'expliquer. Pas une once, ici, de regret. Pas de mea culpa. Aucun tremblement. Camus, diariste impénitent, n'a le souci que de la pérennité de son oeuvre, de la qualité de son style et de l'élégance de son image cathodique. En somme, il veut bien qu'on l'attaque et le suspecte pourvu que jamais on ne le considère comme "un petit maître".

On voit que Camus n'est pas seulement un châtelain dans sa campagne, il l'est aussi dans sa conception manichéenne du monde. Il a la conviction que l'essence même de l'écrivain est d'être un rebelle (s'il porte un jabot, c'est mieux encore). Qu'il n'y a pas de styliste qui [ne ?] soit anticonformiste, que la belle prose doit choquer le mauvais goût ambiant. Qu'une guerre fondamentale oppose la littérature et la presse comme, jadis, l'aristocratie luttait contre la république. Et que "la société petite-bourgeoise régnante" ne vise qu'à déconsidérer l'élite cultivée à laquelle il appartient.

Quoi qu'il écrive et pense, Dieu sait pourtant que c'est d'un confondant simplisme, une si haute intelligence ne saurait être comprise du vulgum pecus. C'est donc par la vanité, le dédain, la paranoïa et une manière de délire christique qu'il réfute le procès qui lui est fait. Camus, saint et martyr de l'an 2000 : l'homme voudrait choquer, il n'est plus que pathétique.

Jérôme Garcin

De Renaud Camus : La Salle des Pierres, journal 1995, Fayard, 372 p., 150F ; Corbeaux, journal 2000, Nouvelles Impressions, 284 p., 125F ;
Ne lisez pas ce livre ! journal internet [sic], POL, 186 p., 99F.