La vertu par l'anathème
Par Christian Combaz
 

Les remous suscités par l'Affaire Camus sont légitimes. Il est loisible en effet à quiconque de blâmer quelqu'un pour ce qu'il écrit, comme il devrait être loisible à quiconque de l'écrire.
 
 

Or voilà un loisir dont certains milieux parisiens, de manière concertée, avec l'appui hâtif du Ministre de la Culture (anomalie dont on se souviendra longtemps), ont privé, au mois d'avril, un écrivain français. Le jour même où les pires attaques paraissaient contre lui, les journaux les plus acharnés à les diffuser lui ont signifié que le débat était clos. Ses soutiens ont manqué d'occasions de s'exprimer en sa faveur . Leurs articles sont restés au marbre, quand ils n'ont pas été publiés exsangues, expurgés sans accord de l'auteur - comme ce fut le cas du mien dans Marianne (20 juin).
 

En revanche les grands amoureux de la vertu par l'anathème, se sont pressés nombreux, en rangs serrés, par vagues rapprochées, dans les colonnes des journaux du soir et jusqu'à la fin de l'été. Pour qui connaît la nature humaine (et celle des gens de lettres, qui est un peu moins qu'humaine), une évidence s'impose : il s'agissait de se payer Renaud Camus. De faire un exemple qui raffermît le pouvoir des féodaux de l'édition parisienne.
 

Il suffit, en effet, de lire l'oeuvre de ses détracteurs, après avoir lu la sienne, pour s'aviser que leur colère vise un rival dangereux. Les écrivains vassaux (du pouvoir, de la mode, des magazines etc.) ne sauraient tolérer longtemps que d'autres se comportent en suzerains.
 

Que Philippe Sollers, qui décerne les dés d'or de la modernité toutes les trois semaines dans les journaux à sa dévotion, veuille ruiner l'une des vocations de suzerain les plus voyantes, qu'il ait multiplié les interventions au sujet de Renaud Camus ne surprendra personne. Mais la violence et l'insistance de son argumentation en ont choqué plus d'un.
Parmi ceux qui ont fréquenté les expositions (Kounellis, Boltanski, Marcheschi) patronnées par Camus, parmi les sceptiques (dont je fais partie) qui ont découvert en ricanant les "installations" modernissimes du château de Plieux, parmi ceux qui ont vu Cyber-Camus diffuser sa prose sur Internet dès 1998, parmi les habitués de ses concerts du genre "découvrons les musiques du monde" (récitals de musique traditionnelle soufi, chinoise, juive, etc.) la surprise a été grande d'apprendre que Camus était un représentant de la France moisie. Entendez, qui réprouve la modernité, l'altérité, etc.
 

En affirmant que Renaud Camus fait partie de cette France-là, Philippe Sollers ne se contente pas de flatter le mythe de l'ennemi intérieur (dont il prétend pourtant dénoncer l'obsession chez autrui). Il travestit son modèle, il brosse en vérité son propre portrait, il nous fait part de ses doutes d'écrivain sur lui-même et se comporte comme André Breton aux pires heures de l'épuration surréaliste. On est obligé de se demander si la calomnie n'est pas devenue, chez lui, le dernier recours de la jalousie.
 

Les écrivains qui ne se contentent point de parler de littérature à la Closerie des Lilas, mais qui la pratiquent chaque jour, avec une rigueur de maître d'armes, dans le secret de leur province, depuis quinze ou vingt ans, ont de quoi exciter la rancoeur des Parisiens influents. Pourquoi ? Parce qu'il vient toujours une heure, un âge, où l'on perd de son influence parisienne. Tandis que Renaud Camus, lui, ne cesse de gagner des lecteurs.
 

Le fait que deux collègues de l'accusé (collègues au sens Union-des-écrivains-Moscou-1954), Bernard-Henri Lévy et Philippe Sollers, réunis par une commune "vigilance", et l'exerçant sous la vigilance au carré du directeur du Monde (sur LCI) se soient si férocement attaqués à "ce prosateur médiocre, pire que médiocre", le fait que Sollers l'ait jugé "barbant" dans les colonnes du Monde à plusieurs reprises, le fait qu'il ait été si souvent question de style, de politique éditoriale dans ce débat, tout a fini par attirer l'attention du public sur ce qui pourrait être le véritable objet de la querelle : compromettre, en s'attachant à le faire trébucher sur un autre terrain que la littérature, un écrivain doué, raffiné, civilisé, qui peut en remontrer à la plupart de ses rivaux.
 

Restait à dissimuler le forfait. Nous assistons en effet depuis peu à une tentative dérisoire pour élargir le débat sur le thème : Peut-on tout dire ? Où va l'intelligentsia ? etc. Les premiers protagonistes de l'affaire, ceux qui se sont montrés les plus acharnés contre lui à titre personnel essaient, en ce moment, de faire défiler trente personnes à la barre, pour laisser croire qu'il ne s'agissait pas d'une affaire privée. Peine perdue.
Le contenu de la Campagne de France, même s'il prête à discussion ou à empoignades (légitimes, je le répète), n'est pas, n'est plus le problème, s'il l'a jamais été (et je fais partie de ceux qui ont écrit, dès le 21 avril, qu'il n'était pas le problème). Rappelons en effet qu'après avoir été qualifiés de criminels, les passages censurés ont été publiés, in-extenso, par la plupart des journaux accusateurs. Cela qui prouve bien qu'à moins de risquer eux-mêmes une condamnation pour "incitation à la haine raciale" ils ne croyaient nullement à la réalité du crime.
 

Et si le vrai problème était donc le stalinisme rampant du milieu littéraire français ? Celui qui vous décerne le brevet d'écrivain comme la carte du Parti, qui désigne des choses et des gens qu'on ne doit pas publier, et qui s'arrange pour punir ceux qui passent outre. Et si le facteur aggravant, dans tout cela, le détonateur, était la vulgaire jalousie d'un ou de plusieurs hommes de lettres, qui verrouillent, qui excluent, faute de pouvoir créer, qui auront toujours cherché à se faire couronner par l'intrigue, et qui enragent, après tant d'efforts, de se voir coiffer au Panthéon par un artiste ?

Christian Combaz