Le Dernier mot d'Élie Semoun
Par Patrick Besson
 

Moins il est drôle, plus il rit. Thierry Ardisson lit toujours la même fiche depuis des années. Toute une vie à poser des questions qui ne sont pas de lui. De plus en plus confit dans ce qui n'est pas de la gloire mais une vague gloriole locale qui lui permet d'avoir une bonne table au restaurant. Sa spécialité : inviter des intellectuels ou des artistes marginaux qui expriment à sa place ses mauvaises pensées, puis les faire dézinguer par le comique bien-pensant de service. La semaine dernière, celui-ci était Elie Semoun. Il est si drôle, Elie Semoun, quand il veut, et si bête quand il pense. Il cache son absence d'esprit sous son air madré, alors que son humour est si fort quand il fait l'imbécile. Les Parasites de Philippe de Chauveron (1998), c'est culte, du moins pour moi.

Donc, ce soir-là, Thierry Ardisson recevait Renaud Camus. On ne le voit pas souvent à la télé, Renaud Camus. C'est depuis l'affaire Camus, quand Renaud avait écrit dans son journal intime qu'il y avait trop de Juifs au "Panorama" de France Culture. Mais non, il n'y avait pas trop de Juifs au "Panorama" de France Culture, il y avait trop de cons! Trois phrases dans une oeuvre qui en compte plusieurs millions : ça a suffi pour que la bonne société littéraire se fâche. Les intellectuels aiment s'indigner, ils pensent que ça leur donne de la dignité, surtout quand ça peut couler un confrère. C'est vrai qu'ils sont beaucoup, ils sont trop. Il faut é-li-mi-ner. En l'occurrence, il fallait éliminer Camus.

Il ne s'en est pas trop mal sorti, ledit Camus. Il avait, à "Tout le monde en parle" (France 2), la grâce pâle de qui a traversé le feu. En face de lui, Elie Semoun se sentait confronté à la bête immonde. Tout hérissé d'une haine calme au sourire supérieur. Il demande à Camus s'il ne trouve pas qu'il y a trop d'homosexuels dans le show business. Parce qu'il est homosexuel, Camus. Moi, je n'ai pas bien vu le rapport Juifs-homosexuels. Camus a répondu gentiment que s'il y avait, sur France Culture, une émission dont tous les intervenants seraient homosexuels et que si ces homosexuels ne parlaient que des sujets homosexuels, il s'en plaindrait. Ça a cloué le bec à Semoun. Renaud Camus a quitté le plateau sous de maigres applaudissements gênés. J'ai aimé son dos lourd et bleu de combattant ahuri de la liberté de penser, surtout mal.

Après l'arrivée d'Anna Mouglalis, la nouvelle égérie de Chanel qui s'écoute parler du nez, Ardisson dit à Semoun: «Tu vois, je t'avais dit qu'il y aurait de jolies gonzesses.» Semoun: «Oui, mais la chauve à moustaches, là, je n'ai pas trop aimé.» C'était ça, le dernier mot d'Elie Semoun : une blague homophobe, c'est-à-dire raciste.

Patrick Besson