Renaud Camus et le souci de l'origine

Par Jan Baetens
 
 
 
 
 
 
 
 

J'ai découvert l'oeuvre de Renaud Camus en 1982, et depuis je n'ai pas cessé de lire et de commenter cet auteur que je crois être le plus important de sa génération. Mon livre Etudes camusiennes, paru récemment aux éditions Rodopi (Amsterdam), témoigne largement de l'admiration que je lui voue. Les accusations d'antisémitisme lancées à l'occasion du dernier tome de son Journal, La Campagne de France, m'ont beaucoup étonné. La décision de l'éditeur de retirer cet ouvrage de la vente, puis les nombreuses réactions dont la presse s'est faite l'écho, ont fait très vite que cet étonnement est devenu indignation. En effet, les fragments incriminés me paraissent mal interprétés, et mal interprétés parce qu'injustement détachés de l'ensemble de l'oeuvre, une oeuvre qu'on a décidé apparemment d'ignorer d'un bout à l'autre. Renaud Camus n'a jamais dit qu'il y a trop de Juifs à France-Culture, il a dit seulement qu'à l'époque de la rédaction du Journal (1994) les journalistes du Panorama exagéraient un peu et tendaient parfois à faire de l'émission une émission communautaire. En conclure que Renaud Camus est antisémite me paraît un peufort, et témoigne en tout cas d'une méconnaissance complète de son oeuvre.

Un exemple regrettable de cette méconnaissance est l'article très mal informé de M. Bertrand Poirot-Delpech, publiée dans Le Monde du 26 avril, qui va jusqu'à attribuer à Renaud Camus des propos entre guillemets (« il y a trop de juifs ») qu'il n'a jamais tenus. Rien dans l'oeuvre de l'écrivain ne permet de faire ce genre d'accusations. Renaud Camus a dit au contraire à de très nombreuses reprises tout le bien qu'il pense et de la chaîne et de l'émission et de ses journalistes.

Il suffit en effet de lire davantage que les quelques citations tronquées pour qu'un tout autre Renaud Camus apparaisse. Prenons par exemple le souci camusien de l'origine, que d'aucuns se sont empressés de présenter comme une démarche pétainiste, comme si selon Renaud Camus seuls les Français de souche étaient capables de comprendre et d'exprimer la culture française.

Que l'on me permette de faire à ce sujet deux petites remarques. Et je précise tout de suite que je ne suis ni Français, ni même francophone, mais seulement un ami de la culture et de la langue françaises. Cette langue et cette culture sont pour moi des biens universels dont le travaild'écrivains tels que Renaud Camus me permet justement de bénéficier.

La première concerne le fait que tous les livres de Renaud Camus traitent des origines des personnes, toutes les origines, de manière strictement égale. Nulle part il n'établit d'opposition entre telle ou telle origine précise, qu'elle soit française ou autre. Par contre, ce que l'oeuvre de Renaud Camus distingue et oppose, c'est l'existence d'un lien entre soi et une origine, d'une part, et la perte de ce lien dans un monde qui en prive cruellement tant d'êtres humains, d'autre part. Regretter une absence d'origine, est-ce là être antisémite ?

La seconde remarque, indissociable de la première, concerne le fait que cette origine n'est jamais envisagée comme un bien en soi, mais au contraire comme quelque chose qui aide les hommes et les femmes à se faire... autres. L'origine n'est pas ce qui définit une personne une fois pour toutes, elle est ce qui lui donne les ressources de se mettre en question. Ce qu'expriment les livres de Renaud Camus, c'est donc tout sauf un repli crispé sur l'identité française. L'origine est pour lui toujours un tremplin qui permet à tous ceux qui osent vivre et penser librement, de s'arracher à leur propre condition. Que l'on lise le Journal et l'on verra que les amis de Renaud Camus y sont divers et multicolores, tout comme on verra que les écrivains, les philosophes ou les artistes qu'il admire sont souvent juifs ou arabes. Car la curiosité intellectuelle et humaine de Renaud Camus est littéralement universelle. Et soit dit en passant: pareille curiosité est sans égale dans les lettres françaises contemporaines.

Certes, ce n'est pas à moi de prendre la parole à la place de Renaud Camus, ni de me substituer à ses textes, c'est-à-dire à son oeuvre, c'est-à-dire à lui-même. Mais qu'il me soit au moins autorisé de demander qu'on arrête d'accuser et de condamner un auteur que l'on refuse de lire.
 
 

Jan Baetens